Un Prince arabe voulait faire anuler un but français contre son équipe

Salut mes fidèles lecteurs. Dans cet article je vous raconte la Coupe du Monde de football en Espagne 1962 par l'autre bout de la lorgnette. Cette compétition polluée par les petits arrangements  que je rapporte et par l'agression sur Battiston du gardien de but de la sélection allemande. Bonne lecture à tous...

C’est un cliché signé AFP/UPI. Il fait le tour du monde ce 21 juillet 1982. On y voit le Cheikh Faïd Al-Ahmad Al-Sabah interpellé par un reporter d’Antenne 2 sur la pelouse du stade de Valladolid lors de l’interruption historique de la rencontre de Coupe du monde de football entre la France et le Koweït. Ce reporter, c’est moi. Sous un autre angle, on ne voit qu’une main, portant chevalière à l’annulaire droit, posée sur le poignet du Cheikh. Je m’en amuse aujourd’hui en tweetant : « Je suis le voleur en train de tirer la montre en or d’un prince du Koweït en habit traditionnel ». Pourtant, au moment immortalisé par ce cliché qui fait la Une de tous les journaux, l’atmosphère n’est pas à la plaisanterie. Mais plutôt au scandale. Un de plus à mettre sur le compte de la FIFA, ce gouvernent mondial du football, davantage occupé à faire des ronds avec le ballon que soucieux de la promotion de ce jeu.

J'ai, de cette première Coupe du Monde organisée en Espagne, le souvenir d'une série de couacs commencée avant même le coup d'envoi de compétition. Le premier a lieu lors du « tirage au sort arrangé » que je dénonce dans mes compte rendus diffusés dans les éditions du journal télévisé d’Antenne 2. Un tirage organisé pour ne pas mettre le Chili et le Pérou dans le même groupe que l’Argentine et le Brésil. A cette époque il faut tout faire pour ne pas éliminer prématurément trop de représentants du continent sud-américain si cher au président de la FIFA le brésilien Joao Havelange.

Quand arrive le grand jour, ce n’est pas au Camp Nou, le stade de Barcelone, que j’assiste à la cérémonie d’ouverture. Mais devant la télé, dans la salle de presse délocalisée à Valladolid, ville de résidence de l’équipe de France. Ce jour d’accueil des délégations représentant les cinq continents est une première, grâce à la présence de la Nouvelle Zélande. Il est présenté comme un jour de grand messe. Il doit être le symbole de la fraternité des peuples unis par le football. C’est le contraire qui se passe. Ce rendez-vous de cérémonie d’ouverture devient un jour de manifestation politique. Sur la toile de fond d’un

envol de deux colombes de la Paix (d’après Picasso), l’une formée par 2300 enfants tout de blanc vêtus, l’autre, bien réelle, qu’un jeune espagnol laisse s’échapper d’un ballon. De la tribune où les supporters sud-américains sont regroupés apparaît un calicot, affichant en grosses lettres : « Les Malvinas son argentinas » (Les Malouines sont argentines). Cette banderole me prend au dépouvu. J'ai oubié cette guerre du bout du monde entre l'Angleterre et l'Argentine à propos de la possession de l'archipel des Malouines. Apparemment, ce n'est pas le cas des supporters et journalistes argentins, présents en Espagne, qui sont venus avec la ferme intention de rappeler au monde le contentieux militaire entre leur pays et le Royaume Uni. Ainsi j’apprends, en salle de presse, que la direction de Radio Rivadavia, une radio argentine, ordonne à son commentateur de ne pas prononcer les mots »Angleterre », « Anglais » et « Britanniques » pendant la retransmission du match RFA-Angleterre joué au Stade Santiago Bernabeu de Madrid le 29 juin. Le climat est tellement tendu entre les supporters des deux camps que les organisateurs se sont arrangés pour que les deux nations s'affrontent le plus tard possible si cela doit arriver. Ils ont pris les devants dés le tirage au sort qui ne prévoit pas de les mettre face à face avant les demi-finales. En tout cas l’apparition de cette banderole affichée par les supporters de l’Argentine, qui doit être opposée à la Belgique en match d’ouverture, donne une idée des embûches qui attend le comité d'organisation.

Le cheik du Koweit descend sur la pelouse pour faire annuler un but

Le pire des imprévus je le vis à Valladolid, ville qui héberge l’équipe de France. Je me revois au stade José Zorrilla, du nom d’un poète originaire de la ville, le seul spécialement construit pour ce Mondial. Un stade ouvert à tous les vents. Même les vents contraires, comme celui qui le fait entrer dans l’histoire ce 21 juillet, date du deuxième match de l'équipe de France dans ce premier tour de la Coupe du Monde. De Valladolid, on dit « c’est neuf mois d’hiver et trois mois d’enfer ». Juillet 1982 est à la fois un mois d’enfer et celui de faits divers. Sans doute l’un des plus insupportables, à mettre sur le dos d’un monde corrompu qui ne tourne plus rond à force de prendre trop de liberté avec ses règlements. 80ème minute d’un match à sens unique dominé par l’équipe de France, qui met à ses pieds la sélection du Koweït. Les Bleus, qui restent sur un échec contre l’Angleterre à Bilbao (1-3), mènent 3-1 à dix minutes de la fin lorsque Michel Platini donne le ballon à Alain Giresse. Profitant de la passivité d’une défense koweïtienne aux abonnés absents Giresse entre dans la surface de réparation et ajuste le gardien de but. 4-1 pour la France.

Je suis au bord du terrain avec l’équipe de télévision qui tourne les « à-côté » de ce match pour le Stade 2 du lendemain lorsque, soudain, je vois les joueurs Koweïtiens se précipiter vers Miroslav Stupar, l’arbitre soviétique, pour contester la validité du but sans la moindre raison valable à mes yeux. Je suis bien placé pour témoigner que Alain Giresse n’est pas hors-jeu quand il marque ce quatrième but. Je suis à hauteur du juge de touche. Après ce coup de colère contre l’arbitre je vois les joueurs koweitiens se tourner vers la tribune officielle où trône le Cheikh Faïd Al-Ahmad, président de leur fédération et, accessoirement mais pas inutilement, petit frère de l’Emir du Koweït Jaber Al-Ahmad Al-Sabah. Debout, gesticulant, celui-ci devient vite la cible des caméras de direct qui le montrent en train d’exprimer sa colère, invitant son équipe à ne pas reprendre le jeu, et faisant signe qu'il s'invite sur la pelouse.

Je connais le Cheikh depuis la veille. Je l'ai abordé lors barbecue organisé pour la presse par la délégation koweitienne à son hôtel. Je me souviens qu'il y avait au menu beaucoup de poulet à toutes les sauces. A la fin, je ne suis pas loin d'une indigestion de brochettes. Je m’amuse de tout le tralala autour de cette réception hors norme. Je sympathise avec lui et au moment de le quitter l’impression me vient qu’il ne doute pas un seul instant de la victoire de son équipe contre la France le lendemain. Pourquoi pas? Après tout, pour sa première participation à une Coupe du Monde, le Koweït a créé a surprise en arrachant un match nul contre la Tchécoslovaquie lors du premier match joué sur la pelouse toute neuve du stade José Zorrilla.

Si la délégation koweitienne, en émoi, conteste ce quatrième but d'Alain Giresse, ce n'est pas pour une position de hors jeu. C'est parce que les joueurs de l'Emirat ont entendu un coup de sifflet pendant l'action, et qu'ils sont persuadés qu'il provient de l'arbitre.

Alors ils s’arrêtent de jouer. Je témoigne avoir entendu moi aussi ce coup de sifflet. En réalité il ne vient pas de l’arbitre mais des tribunes. L’arbitre russe Miroslav Stupar dit: « Play » (Jouez). Les Français jouent. Pas les Koweïtiens qui encaissent le but de la discorde. Car, après avoir gigoté du haut de sa tribune le Cheikh Faïd Al-Ahmad décide d'aller parler à l'arbitre. Rien de plus facile dans ce stade José Zorilla sans frontière entre les spectateurs et les joueurs, à ma grande surprise. Il descend pour donner publiquement raison à ses joueurs et mettre l’arbitre devant ses responsabilités: « Vous annulez ce but, ou mon équipe quitte le terrain ». C’est du jamais vu. Et à prendre ou à laisser.

Que faire? Pendant qu’à leur position de commentateurs de TF, mon vieux pote de régiment Michel Denisot et son consultant Henri Michel dénoncent une ingérence inadmissible, l’arbitre révise mentalement son règlement et ne trouve pas de directives. Ce cas de force majeur n’est pas envisagé. Doit-il annuler le but en donnant l’impression fâcheuse qu’il agit sous la pression d’un milliardaire du pétrole? Où bien s’en tenir à sa décision de l’accorder, supposant que le retrait de l’équipe du Koweït devant toutes les caméras braquées sur le terrain de Valladolid va créer un scandale encore plus grand? C’est la cohue autour de Monsieur Stupar. Il y a beaucoup de monde mais pas un seul délégué de la FIFA pour l’assister dans sa décision. Chez les officiels de la Fédération Internationale on joue « courage, fuyons ! ».

Les minutes passent. Les esprits sont chauffés à blanc. Je me souviens encore de cette réflexion à chaud de Christian Lopez, défenseur de l’équipe de France: « Je n’ai jamais vu un peintre descendre sur la pelouse et dire à un arbitre ce qu’il a à faire! » Toujours est-il que l’arbitre en question, livré à lui-même, fait ce qu’il peut. Faute de mode d'emploi adapté à ce cas si particulier, Monsieur Stupar décide qu’il peut annuler le but et faire reprendre le cours du match avec un entre-deux. Stupeur dans la tribune de presse. Les journalistes, qui viennent de passer le temps à pronostiquer le contraire, n’en croient pas leur yeux.

Mon accréditation me donne le droit de travailler dans la zone mixte qui n'est pas vraiment délimitée. Avec Bernard Berliet, le caméraman, nous en prenons à notre aise puisque nous allons partout sauf dans le rectangle de jeu. Nous filmons tout, à commencer par l'échange entre le Cheikh et l'arbitre. Dès la fin de la conversation, Bernard Berliet, caméra au poing, et moi, micro en main, nous nous plantons devant le Cheikh qui me reconnaît. Par conséquent, sans hésiter, il accepte de me parler quand je lui demande d'exposer ses griefs à l'égard de l'arbitre. C'est à cet instant qu'est prise la photo d’agence qui me projette, avec lui, à la Une de la presse mondiale. Satisfaction du Cheikh et de toute sa smala. Remobilisation de son équipe. Mais colère dans le camp français. Michel Hidalgo veut à son tour faire pression sur Monsieur Stupar. Quand la police espagnole, si passive pendant l’intempestive intervention du président de la Fédération koweitienne, le renvoie sans ménagement hors du terrain il pète les plombs. Le sélectionneur de l’équipe de France est tellement énervé qu’il décide de boycotter la fin du match en simulant une entrée prématurée au vestiaire devant notre caméra. Mais l’ont-ils reconnu, les cerbères de la Guardia Civil? C'est peu probable. En short et polo, Michel Hidalgo ressemble davantage à un touriste français en goguette venu ajouter encore un peu plus de désordre sur cette pelouse envahie qu’à un officiel de la délégation française. En tout cas, il est le plus mal placé pour reprocher à l’arbitre de céder à un chantage. Juste avant le coup d’envoi il s'est rendu coupable du même procédé. Aux policiers espagnols qui emmènaient au poste, quinze minutes avant le coup d’envoi, un jeune supporter français coupable d'avoir envahi la pelouse en brandissant un drapeau tricolore le sélectionneur français s'est mêlé de l’affaire en lançant: « Si au coup d’envoi vous ne sortez pas ce gosse de prison, l’équipe de France ne jouera pas ce match! ». Mais il défendait la veuve et l'orphelin, c'est plus noble, non ?

De ce France-Koweit interrompu pendant un quart d’heure, répertorié comme un scandale de l’histoire de la Coupe du Monde de football, l’histoire retient que l’équipe de France se fait justice en marquant un quatrième but pour battre finalement le Koweït par 4 à 1. Elle retient aussi que Monsieur Stupar, accusé par la rumeur d’avoir touché de quoi payer l’essence de sa voiture pendant toute une année pour ce but refusé, sera sanctionné par la FIFA. Radié à vie. Elle retient entre autre que le Cheikh Fahid Al-Ahmad Al-Sabah a écopé seulement d’un blâme pour sa conduite antisportive. En 1990, Platini et les Bleus, avec Hidalgo, ont éffectué une tournée de réconciliation, avec méchoui dans le désert entre le faucon et le tigre du Cheikh. Huit ans après ce match historique le Président de la fédération de l'Emirat, par lequel le scandale est arrivé, meurt pendant la guerre du Koweït. Pris en otage, en même temps que 366 autres passagers du vol Kuala Lumpur-Londres de la British Airways, il est reconnu par la milice irakienne de Saddam Hussein, exécuté, avant que sa dépouille ne soit exposée sur la place publique. L'histoire retient que, suite à l’affaire du France-Koweït, le stade Zorilla de Valladolid sera doté de douves dans le but d’empêcher les spectateurs d’accéder à la pelouse. Elle retient, enfin, que je suis là le bon jour, au bon endroit, au bon moment, pour voir, entendre et rapporter un évènement de portée planétaire qui tatoue l’histoire du Mondial. Le Graal pour le journaliste que je suis.

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C’est l’histoire d’un mec ordinaire qui a eu une vie extraordinaire que je vous raconte. Une vie de Grand Reporter c’est une vie de milliardaire sans les milliards. A vous de juger...
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Mémoires d’un Grand Reporter

Dans ce Mondial, ma mission est de parler de tout sauf de commenter les matches, exclusivité dévolue aux spécialistes football du service des sports, Thierry Roland et Bernard Père. J’aime ce statut. J’aime voir les évènements sportifs par l’autre bout de la lorgnette. Je trouve ce rôle moins réducteur que celui du commentateur, dont l'action se limite à mettre du son sur des images. Parfois les à-côtés me conduisent à parler de choses sordides qui me révoltent. Comme le scénario de ce match de qualification pour le deuxième tour de la compétition entre la RFA et l’Autriche dans le groupe II. Deux équipes doivent sortir de ce groupe. Elles sont trois pour deux places: l’Algérie, surprenant outsider, la RFA et l’Autriche. Ce qui se passe dans cette triangulaire, c’est l’histoire du dîner de con adaptée au foot. Le premier match du groupe entre la RFA et l’Algérie est déjà, en soit, un événement historique. L’Allemagne, s'incline (0-1) devant l’Algérie au jeu flamboyant et c’est la première fois qu’une équipe européenne est battue par une équipe africaine en Coupe du Monde. Ce résultat inattendu brouille les cartes. Les résultats cumulés des quatre équipes de ce groupe deviennent une perspective inquiétante pour les Algériens et l'esprit du sport : lors de la troisième et dernière journée du 1er tour, l'équipe d'Algérie peut être éliminée sans jouer si l'Allemagne bat l'Autriche par 1-0. Il est tellement évident, qu’entre cousins germains ce résultat peut intervenir, que tous les accrédités pour ce Mondial, pressentant la triche, font le déplacement à Gijon. Je suis de ceux-là. Ce RFA-Autriche de pitoyable mémoire ne dure que 12 minutes. Le temps pour l'attaquant Horst Hrubesh d’ouvrir le score pour l’Allemagne. Après, le match se résume à une partie de passes à dix au milieu du terrain. Colère dans le public qui se sent pris pour un jambon. Dans les tribunes, des supporters algériens brûlent des pesetas pour traduire leur conviction que le match est acheté. Les spectateurs espagnols agitent des mouchoirs blancs, geste traditionnel de protestation dans les stades. Sur TF1, Henri Michel, le consultant de Michel Denisot, déclare: « On devrait leur retirer leurs licences à ces 22 joueurs. » Avec beaucoup de classe, Mohiedine Khalef, l'entraîneur algérien, tire la leçon de ce piège à con: « C’est un grand honneur pour nous de voir deux grandes équipes se mettre d’accord pour nous éliminer ». Et moi, envoyé spécial d’Antenne 2, emporté par le parti-pris ambiant, je me laisse aller à ajouter mes accusations à ce concert de critiques distribuées au 22 joueurs de ce match de dupes.

Dès le lendemain, une lecture moins passionnée du problème me fait regretter mon rôle de mouton de Panurge. Suis-je certain que ce 1-0 de la RFA face à l’Autriche est un score arrangé à l’avance? Ne suis-je pas manipulé par le contexte ambiant? Ai-je toutes les cartes en main pour affirmer aux téléspectateurs français que le résultat de ce match est la conséquence d’une histoire écrite d’avance? Existe-t-il une antithèse à la thèse du complot? Avec le recul, j’en trouve une. Et si, qualifiée par ce but si précoce, l’Allemagne avait pris le parti de se contenter de ce score afin de garder des forces pour le deuxième tour? Et si, dès le but encaissé, l’Autriche ne croyant plus à la perspective d’une victoire, voire d’un match nul, avait fait le calcul de ne pas subir un score plus lourd qui aurait eu pour conséquence une élimination à la différence de but avec l'Algérie ? Oui, pourquoi pas? Surtout, pourquoi n’ai-je pas envisagé à chaud cette alternative plutôt que de hurler avec les loups, en criant trop vite au complot sans preuves ? Au moment où je passe en revue les grands moments de ma vie de reporter, je me dis que ce métier est un art difficile qui confond trop souvent les faits avec les commentaires. Or, « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres » dit Beaumarchais. Je fais mienne cette pensée. Même si je ne garantis pas l’avoir observée à la lettre, comme après cet RFA- Autriche qui me fait cas de conscience, encore plus de trente ans après

Le 25 juin, à la fin du premier tour, je quitte l’Espagne et la Coupe du Monde 1982. Une autre mission m’appelle: le Tour de France, dont le départ est donné à Bâle (Suisse) le 2 juillet. Je laisse le Mondial mais je garde un œil sur lui car j’ai participé au concours de pronostics proposé par Adidas aux journalistes. Par conséquent, même sur la route du Tour, je suis attentif aux performances de mes deux équipes favorites pour la finale. Le 8 juillet, le Tour de France fait étape à Lille. Le Néerlandais Ian Raas assomme ses adversaires sur les pavés de l'habituel itinéraire de Paris-Roubaix. Le maillot jaune est bien accroché sur les épaules de l’Australien Phil Anderson. Quand je rentre à l’hôtel, après l’enregistrement du résumé de l’étape du jour, je n’ai qu’un objectif: m’assoir devant la télé pour regarder la demi-finale de Séville entre la France et l’Allemagne. La situation est cornélienne pour moi. Je souhaite une victoire des Bleus parce que je suis naturellement supporter de la France. Mais en même temps une qualification de l’Allemagne conforterait mon pronostic : j'ai parié sur sa présence en finale de ce Mondial. Je m’attends à un match « viril mais correct » comme le dit la formule.

Le fait du match se situe à la 57e minute. Cette fois, je ne suis pas sur place. Je ne suis qu’un téléspectateur passif devant une tragédie qui bouleverse la France. Le Français Patrick Battiston, qui vient de remplacer Bernard Genghini, est agressé par le gardien allemand. Les genoux de Harald Schumacher, lancé comme un frelon, viennent percuter le visage de Patrick Battiston dans un choc impressionnant. Le joueur de l’équipe de France reste au sol, inerte, avant être évacué sur une civière. Michel Platini lui tient la main. On craint le pire. L'arbitre néerlandais, monsieur Cover n'a absolument aucune réaction, ne prend aucune décision : pas de pénalty alors que la faute a eu lieu dans la surface, pas de carton rouge, même pas un avertissement. Rien. Des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs sont témoins de cet attentat. L'arbitre est le seul, avec le gardien allemand, à ne pas s'en émouvoir. Sur le visage de Schumacher n'apparaît aucune d'expression de mauvaise conscience. Il est dans son match et refuse d'en sortir. Comme tous les téléspectateurs je suis sidéré.

Cette nuit de Séville a des allures de tragédie grecque.Tout le monde connaît la fin de l'histoire. 3-1 pour les Bleus à la mi-temps de la prolongation. J’entends encore Thierry Rolland annoncer la France en finale. Je me dis que je suis éliminé de la course au meilleur journaliste pronostiqueur. La présence des Bleus en finale m'en consolerait aisément. Et puis, il y a ces deux buts allemands au cours de la deuxième partie de la prolongation qui envoient les deux équipes se départager aux tirs aux buts. Une première dans l’histoire de la Coupe du Monde. Et puis, il y a l’admirable Maxime Bossis qui voit son tir au but arrêté par l’abominable Harald Schumacher. Et puis, il y a la conséquence, terrible, insupportable, injuste: l’Allemagne qui se qualifie pour la finale contre l’Italie aux dépens d’une équipe de France exemplaire, mais victime du mauvais sort. Fin du match. Un journaliste informe le « boucher de Séville » que Patrick Battiston a perdu deux dents. Schumacher rétorque « S'il n'y a que ça je lui paierai les frais de dentiste. » L'agresseur sera détestable et cynique jusqu'au bout. Il révèlera quelques années plus tard l'utilisation d'amphétamines et autres produits interdits dans la sélection allemande et désignera l'un de ses équipiers sous le pseudonyme de « pharmacie ambulante ».

Mes confrères spécialistes de football prétendent que ce France-Allemagne est le match le plus mémorable de l’histoire du football français. Pour tous ses retournements de situation, pour la concentration de tous les sentiments en une seule nuit, pour l’agression sur Patrick Battiston, pour la qualité technique de l’équipe formée par Michel Hidalgo ce jour-là, pour la valeur de l’adversaire et, bien évidemment, parce qu’il s’agit d’une demi-finale de Coupe du Monde. Moi, que le destin de reporter transporte si souvent là où il faut être, je suis loin de l’action qui, cette fois, fait l’événement en ce 2 juillet 1982. Aujourd’hui encore je porte en moi la culpabilité du déserteur. Pourtant, je suis le seul Français gagnant de cette sale journée de juillet à Séville. J’avais pronostiqué la qualification de la RFA. En finale, au stade Barnabeu de Madrid cette Allemagne s'inclinera devant l'Italie de Paolo Rossi (1-3). De tous les journalistes accrédités pour ce si particulier Mondial en Espagne, je suis le seul à avoir fait le bon pronostic. En récompense, je gagne un voyage tous frais payés en Italie, la terre des vainqueurs. Heureusement que l’Allemagne est battue.

Cet été là, je n'aurais pas eu envie de flaner sur les mêmes terres que l'odieux Harald Schumacher.

Ainsi s'achève cet article relatant mes souvenir d'envoyé spécial de Stade2 à la Coupe du monde 82 en Espagne. Je reviendrai bien vite avec d'autres articles relatant mas vie de milliardaire sans les milliards. A très vite...

Scandale au Mondial 82 en Espagne

Entre catholiques et protestants j'ai vécu la guerre civile

Bien le bonjour. Aujourd'hui cet article vous raconte une guerre civile que j'ai vécu en première ligne. Merci de me lire. 

Je ne suis pas un journaliste du savoir. Je suis un journaliste du regard. Le mien se pose sur les photos en noir et blanc étalées sur mon bureau à la maison. Elles décrivent le « Bogside » ce bout de l’enfer où m’envoie témoigner la rédaction en chef de France Inter pendant l’été 69. Je vous offre mon témoignage.

Bogside, le ghetto catholique de Londonderry, n’a rien à voir avec Lansdowne Road le stade de Dublin où d'habitude je commente les matchs de l’Irlande du rugby chaque fois qu'elle joue contre la France dans le cadre du Tournoi des 5 Nations. Pourquoi ce détour en terre hostile? Parce qu’en ce mois d’août le service de politique étrangère est dégarni et qu’aux yeux de mes patrons je suis le seul journaliste disponible qui connait l’Irlande. C’est le grand écart. De Dublin je ne connais qu’une Irlande unie par le rugby. Une seule sélection, composée de républicains de l’Eire et d’unionistes protestants de l’Ulster, la province de l’Irlande du Nord qui est partie intégrante du Royaume Uni. En débarquant à Londonderry je découvre la face cachée de l’Irlande du Nord. Politiquement unie au royaume mais religieusement divisée entre protestants dominateurs et catholiques dominés. C’est la cause des émeutes qui déchirent ce lambeau d’Irlande depuis des mois, des années, des siècles. Le 4 janvier de cette année 1969 des marcheurs catholiques emmenés par Bernadette Devlin, qui va devenir leur passionaria, tombent dans un guet-apens tendu par les protestants. Le théâtre de cette opération commando s'appelle le pont de Burntollet. Sur mon bureau une photo immortalise la scène. Un autre cliché raconte « la bataille du Bogside », le 12 août 1969 dont le noir bilan sera de 9 morts et 750 blessés. 

J'arrive à Londonderry le lendemain même des évènements. Ma première surprise est de découvrir que la deuxième ville d'Ulster est appelée Londonderry par les protestants mais Derry par les catholiques qui ont coupé le cordon avec Londres. Et souvent cela devient même « Free Derry » pour marquer une volonté inébranlable d'indépendance. Mon deuxième choc est l'hôtel que j'ai réservé de Paris par téléphone. D'hôtel il n'a que le nom, dont je ne me souviens plus d'ailleurs. Que reste-t-il dans mes souvenirs? Un bâtiment en souffrance, semblable à toutes les masures déglinguées qui meublent le ghetto. Le métier de journaliste est ainsi fait qu'on passe du meilleur au pire sans transition. Quand je suis à Dublin pour le rugby je loge dans des hôtels 4 étoiles, je mange dans les meilleurs restaurants répertoriés dans les guides, je fréquente les pubs les plus chics. En arrivant à Londonderry je découvre l'enfer du décors. Il n'y a que des chômeurs dans cette ville, des types qui boivent et se nourrissent de Guiness servies à la pinte, qui font des enfants parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire et parce qu'une grande famille c'est bien vu chez les catholiques. Il manque des carreaux sur la façade du prétendu hôtel où j'échoue. Il n'y a pas de chauffage. Une faible lumière le rend particulièrement inhospitalier. D'une vie de nanti je bascule dans la vie des sans dents, sans boulot, sans espoirs. Et je m'adapte parce que je ne suis qu'une valise que l'on pose aujourd'hui ici, et là-bas demain.

Mon magnéto en bandoulière j'arpente les rues du Bogside. Ce qu'il reste des rues plutôt ! Elles sont hérissées de projectiles en tout genre témoins des échauffourées qui opposent régulièrement les révoltés catholiques aux forces de polices protestantes. En raison de l'accent épouvantable qui déforme l'anglais parlé des irlandais je cherche un professeur de français pour expliquer l'inexplicable et décrire le contexte nord irlandais. Celui qui m'est présenté s'appelle John Hume. Dans son par-dessus rapé qui n'a pas vu un pressing depuis une éternité, et avec sa barbe de trois jours, il a plutôt l'allure d'un SDF que d'un notable local. Mais, dès nos premiers échanges, je comprends que cet homme sort de l'ordinaire. En quelques phrases il parvient à convertir à la cause des catholiques et je ne trouve pas d'arguments pour me faire l'avocat du diable. Je sais, c'est grave un journaliste qui se laisse aussi facilement convertir par le verbe. Mais le témoin est tellement convaincant !

Quand, quelques années plus tard, j'apprendrai que John Hume est nommé Prix Nobel de la Paix je ne serai pas surpris. Leader du Social Democratique Labour Party, qu'il a fondé quelques mois avant notre rencontre, mon premier interlocuteur en Irlande du Nord est tellement charismatique qu'il rassure une population catholique perdue entre le militantisme agressif de l'IRA et les paroles vaines sorties des prêches à l'église. Il modère les révoltés et donne de l'espoir aux désespérés de la tentation républicaine. C'est en tout cas ce que je ressens au moment où j'envoie à Paris pour diffusion dans les journaux parlés notre premier entretien. 

Que sais-je des tenants et aboutissants de cette irlande divisée au moment où je déambule dans ce labyrinthe dont on me dit qu'il débouche nulle part? Avec le rugby au moins tout est simple. Des hommes que tout sépare font cause commune drapés dans le maillot vert si symbolique de l'équipe d'Irlande. Ils cachent ainsi le mal profond qui ronge qui ronge cette êle au quotidien. En 1969, les joueurs les plus en vue de la sélection rilandaise sont le colosse Willie John Mc Bride et l'élégant Mike Gibson. Tous les deux sont originaires de Belfast. Ils ont une éducation unionoste que confirme un passeport britannique. Quand ils sont à Dublin pour un match du Tournoi ilssont les idoles d'une population viscéralement républicaine, résolument hostile au respect de la monarchie qu'incarnent ces deux icônes. En introduction de mes commentaires les jours d'Irlande-France je me suis habitué à flatter le paradoxe de ce pays décidément pas ordinaire. J'explique aussi à mes auditeurs pourquoi ils entendent l'hymne irlandais quand le match est joué à Dublin et pas d'hymne quand le match est joué au Parc des Princes. L'hymne du sud Soldier's Song parce que le match est joué sur le sol de la République. Pas d'hymne à Paris puisque la sélection irlandaise n'est pas représentative d'un pays mais de deux: la République d'Irlande et le Royaume Uni. L'équipe d'Irlande n'est pas une sélection nationale. Elle est la sélection de la Fédération qui gère le rugby dans toutes les provinces de l'île.

En ce dimanche d'août je suis à Londonderry pour expliquer aux auditeurs de France Inter pourquoi les irlandais du nord sont en état de guerre civile. Je sais expliquer les subtitilités du jeu de rugby. Pourquoi un hors jeu ? Pourquoi une défense inversée ? Ce n'est pas toujours chose aisée mais j'y arrive. Aujourd'hui ce qu'il s'agit d'expliquer m'échappe totalement. D'où cette virée dans le ghetto catholique du Bogside pour voir, écouter, rapporter. Il s'agit surtout d'expliquer pourquoi 40% de protestants peuvent imposer leurs volontés à 60% de catholiques? Parce que le découpage politique confine sur une petite surface les catholiques, plus nombreux que les protestants, qui sont dispersés sur de plus grandes étendues. Le nombre plus élevé de circonscriptions liées à  la surface dévolue aux protestants leur permet d'envoyer plus d'élus au Parlement de l'Ulster. Je conclue mon reportage ainsi : « Il n'y a qu'au cimetière que les protestants ont laissé les catholiques en prendre à leur aise avec la surface occupée. Parce que les morts de votent pas. »  

Quand je reviens à l'hôtel à la nuit tombée c'est le branle-bas de combat. Le feu s'est déclaré. Evacuation des lieux me dit l'employé de permanence. J'arrache mes bagages en catastrophe et quitte Londonderry direction Belfast. Je laisse derrière moi une population qui va s'affronter à coup de lancers de pierres, de cocktails molotov, et de balles pas perdues pour tout le monde Une nuit d'émeutes va encore agiter le Bogside. Si un voyage vous conduit un jour à Derry les murs vous raconteront cette histoire. Cette ville de sans-culottes abrite une génération de talentueux artistes de rue. Fleurissent dans le ghetto de touchantes fresques murales peintes pendant les années de troubles. « The Petrol Bomber », qui apparaît en 94 célèbre la bataille du Bogside que je vis comme envoyé spécial en ce mois d'août 69. Ce dessin représente un enfant avec un masque tenant un cocktail Molotov avec des fumées de gaz et en arrière plan les Rossville Flats, ces bâtiments de la rue principale, théâtre principale de la bataille du Bogside.  D'autres fresques commémorent le « Bloody Sunday de 72 », beaucoup célèbrent l'IRA (Irish Republican Army).

Quand on est journaliste on doit respecter une règle de trois : thèse, anti-thèse, synthèse. De Derry je n'ai entendu qu'un son de cloche. Celui de la majorité opprimée. A Belfast je vais entendre l'autre son. Celui de la minorité oppressante. La voix des protestants est tonitruante. C'est celle du Pasteur Ian Paisley. Un va-t-en guerre. C'est dans Crumlin Road que je rencontre ce bouffeur de « Papistes » comme il les appelle. A la façon dont il me reçoit je devine qu'il m'a mis dans le camp d'en face. Il m'annonce que ce soir, dans le quartier catholique de Falls Road, l'armée britannique, pour la première fois, va utiliser les balles en caoutchouc et que cela va faire des dégâts. Je me prépare à vivre au plus près les péripéties de cette nuit d'enfer promise par Paisley. J'ai trois heures devant moi. Je décide de passer par mon hôtel, l'Europa où se regroupent les envoyés spéciaux du monde entier. Pour constituer un réseau d'informateurs ? Pas pour se mettre à l'abri d'un attentat à la bombe en tout cas. Régulièrement les clients sont prévenus par une note déposée dans les chambres. Je reçois celle-ci :  « Cher hôte. Du fait des troubles dans Belfast, il risque d'être nécessaire d'évacuer l'immeuble. Dans ce cas, la sirène sonnera sans interruption, et vous recevrez un coup de téléphone dans votre chambre. » On ne compte plus les vitres qui volent en éclat dans le souffle d'une explosion anonyme dans cet hôtel. La presse locale traite le sujet avec dérision. Elle résume ainsi les faits : « les seules personnes qui font des affaires à Belfast sont les vitriers et les marchands de contreplaqué » Le destin m'est favorable. Quand l'Europa explose sous l'effet d'une bombe posée par l'IRA je suis de retour à Paris.

A l'Europa Hotel ce jour d'arrivée à Belfast je fais connaissance de mon célèbre confrère Lucien Bodard qui est l'envoyé spécial de France Soir. L'après-midi est bien avancé. Je décide de partir en maraude dans le quartier catholique de Falls. Cet endroit c'est l'enfer. Imaginez des rues encombrées de barrières et de chicanes, des pierres plus ou moins groses éparpillées sur le bithume, des bouteilles de bière brisées. Tout est clauque dans ce secteur transformé en champ de bataille. Et il y a l'odeur de la fumée – celle de la tourbe provenant des maisons les plus pauvres, celle d'un charbon de moins mauvaise qualité quand elles s'échappe des maisons moins pauvres. Cette fumée acre prend à la gorge, imprègne les vêtements. Il arrive encore aujourd'hui que m'a mémoire, qui l'a tatouée, me la restitue. 

Comment reconnaître un quartier catholique d'un quartier protestant à Belfast ? C'est mon premier travail en arrivant dans la capitale de l'Irlande du Nord ? Il y a la couleur des trottoirs, les peintures murales, la langue gaélique des plaques de rue du secteur catholique, cette chanson qui passe en rangaine dans les bars protestants de Shankhill : 

Pour apprendre à se situer dans Belfast il y aussi la presse. Pas la peine, par exemple, de chercher un exemplaire de News Letter dans le quartier catholique de Falls. Un jour, je bute sur un cas bien singulier. Deux journaux avec lesquels j'ai pris rendez-vous se font face : le Belfast Telegraph (Unioniste) et l'Irish News (Républicain). Ils ne sont séparés que par un pub baptisé « The Front Page ». Traduisez la Une. Chaque surprise me fait découvrir les irlandais: redoutables frondeurs mais capables de distiller de profonds traits d'humour même en pleine guerre civile.

Quand je quitte Bodard, il est au bar de l'hôtel. Quand je le retrouve, à la tombée de la nuit, il est encore au bar. Je déduis que c'est son lieu de travail comme chaque fois qu'il est en mission. Il semble m'avoir à la bonne. Il me raconte des annecdotes de sa guerre du Vietnam et me refile quelques conseils utiles pour passer entre les balles à la manif du soir. Comme annoncés par Paisley, les combats de rue dans le secteur catholique de Falls Road et le secteur protestant de Crumlin Road sont violents. Les sirènes stridentes des voitures de pompiers et des ambulances couvrent le bruit des balles. J'ai peur. Mais je suis là pour témoigner. J'applique le conseil donné un jour par un ancien correspondant de guerre : « un journaliste a le droit d'avoir peur, mais seulement après avoir fait le job ». Je continue donc à enregistrer les sons qui vont illustrer mon papier pour les journaux parlés du matin.

Je vis mon retour à l'hôtel comme un soulagement. Je suis passé entre les balles des snipers. Je n'ai pas été blessé par les cocktails molotov. Je n'ai pas été kidnappé, mais à cette époque on ne kidnappe pas les reporters de guerre. Je suis donc sain et sauf. Et surtout mon « nagra » a tout enregistré. Ouf! Car l'obsession d'un radio-reporter en mission c'est l'enregistrement. Mon magnéto a-t-il imprimé la bande son ? Ne m'a-t-il pas trahi ? 

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Dialogue avec Lucien Bodard, scotché au bar de l'hôtel Europe. S'il n'a pas bougé de place, en revanche, le niveau de la bouteille de whisky a bougé. Je suis tellement flatté de constater l'intérêt qu'il me porte que je lui raconte tout. Tout ce que j'ai vu. Tout ce que j'ai entendu. Tout ce que j'ai enregistré que je lui fait écouter. Il écoute sans prendre de notes. Mémorise tout. Le lendemain en lisant France Soir je lis l'article de celui que la profession appelle affectueusement « Lulu le chinois ». Dans sa «chronique d'une guerre populaire» rien ne manque de mon témoignage de la veille. Toute la matière est utilisée. Une nuit en enfer racontée comme s'il avait vécu les émeutes au premier rang. Cette façon de raconter l'histoire par procuration avec autant de talent m'impressionne. Dans le journalisme les faits sont sacrées mais la capacité à les mettre en scène est capitale. Cette leçon m'accompagne toute ma carrière. Mais j'apprends surtout une chose de cette expérience : un bon journaliste est avant tout une bonne mémoire. Celle-ci se travaille et s'entretient. Elle présente l'avantage de ne pas laisser de traces en cas de perquisition intempestive. Ma méthode pour entraîner ma mémoire ? Ne rien classer sans avoir lu. Tout réécrire avant de classer. Chez un reporter la mémoire passe par la main. Je me suis beaucoup servi de ma main.

Au fil des mois je suis devenu le spécialiste de l'Irlande du Nord à France Inter. Chaque fois que cela chauffe en Ulster je quitte le bureau des sports pour le service de politique étrangère. Cela me convient. Je ne vois pas le sport comme un divertissement sans histoire et sans conséquence. Mes escapades extra-sportives m'enseignent à replacer un match ou une course dans son contexte historique, politique, économique et social. Alors tout en égrenant les résultats dans les journaux parlés je continue à suivre avec grand intérêt les évènements qui interpellent le monde. Et je suis toujours en mode stand-by pour aller témoigner. Quand en mai 81 Bobby Sands meurt d'une grève de la faim, victime de la politique jusqu'auboutiste de la Dame de Fer, je ne suis plus l'envoyé spécial en Irlande du Nord mais je sais tout de cette insupportable agonie immortalisée par le film Hunger du réalisateur Steve McQueen. Je ne suis jamais allé dans la prison de Maze. Mais je serais capable de raconter dans le moindre détail l'agonie des grévistes de la faim. J'ai tout lu, tout entendu. Au nom du devoir de suite qui doit inspirer la profession d'un grand reporter, je n'abandonne jamais les causes dont j'ai été un jour l'interface.

En 1987 je suis la voix du rugby sur Antenne 2. Avec Pierre Albaladéjo, qui accompagne ma carrière de commentateur, je m'apprête à couvrir en Nouvelle Zélande et en Australie la première Coupe du Monde de rugby. Quelques mois avant le coup d'envoi de cette compétition, un drame me ramène à l'Irlande du Nord. J'apprends que trois sélectionnés de la province d'Ulster : Nigel Carr, David Irwin, Philip Rainey sont les victimes d'un attentat à la bombe faisant exploser la voiture de Lord Justice Maurice Gibson, un haut magistrat mis à mort par l'IRA. A la frontière entre les deux Irlandes le véhicule qui transporte les trois rugbymen irlandais croise celui du juge Gibson. En éclatant ,la bombe atteint Irwin, Rainey et surtout Carr qui ne se remet jamais totalement de ses blessures au point d'être contraint de mettre un terme à sa carrière internationale. Je suis rattrapé par mon histoire. Me voici dans Stade 2, l'émission d'Antenne 2 qui m'accueille en 1976, en train de relater la bêtise de ce drame: trois symboles de l'Irlande rassemblée, victimes collatérales de l'assassinat d'un symbole de la division.

Au moment d'en finir avec ce chapitre me revient à l'esprit cette réponse de Hugo McNeil, ancien arrière de la sélection des Verts, un jour que je lui demandais de m'expliquer l'Irlande : «Chez nous on vous raconte qu'avant un match du Tournoi les joueurs doivent aller se confesser chez le prêtre, puis dire au revoir à leur famille et à leurs amis. Parce qu'après quatre-vingt minutes de bataille sur le terrain de Lansdowne Road et une troisième mi-temps d'enfer, personne n'est certain de revenir vivant. En Irlande, le banquet d'après-match ne commence jamais avant qu'un abbé n'ait dit la prière ». Hugo McNeill est un catholique du sud. Un de ses équipiers protestants du Nord m'aurait probablement dit la même chose. A un mot près : le pasteur aurait remplacé le prêtre. 

Voilà ce que je raconte dans ma bio "Merci pour CES moments" aux éditions "Talent Sport". Mon patron Robert Chapatte disait: "Regarder, voir, rapporter". Je restitue mon vécu. J'espère que vous avez pris de l'intérêt à lire cette tranche de ma vie de Grand Reporter. A plus...

L'Enfer du Nord

Citations les plus originales dites à propos de ce sport

Bonjour. Ravi de vous retrouver pour mon recueil de citations s'agissant du rugby. Il y a ceux qui écrivent des livres. Et ceux qui livrent des écrits. Je suis de cette deuxième famille. De cette famille des collectionneurs qui compilent année après année tant de belles choses pensées, dites, et écrites à propos de ce sport.

"Le rugby doit appartenir à tout le monde. Et tout le monde a le droit de l'aimer." ROGER COUDERC

"Ce jeu peut séduire le monde parce qu'il donne une bonne valeur des hommes. Bien que compliqué dans son règlement il est simple dans sa philosophie. C'est un jeu d'artisans à l'état embryonnaire. Avec quinze hommes sur un terrain d'un hectare tout reste à découvrir. Quand on voit ce qu'on peut faire à deux: passes sautées, croisées, redoublées. A quinze à fortiori c'est inépuisable." DANIEL HERRERO

"Le rugby, c'est trente types qui courent après un sac de vent." WILLIE JOHN MC BRIDE (International irlandais)

"Le rugby c'est le seul sport collectif dans lequel les hommes se rencontrent. Dans les autres ils ne font que se croiser…ou s'éviter…" LUCIEN MIAS

"Le rugby c'est une démocratie peuplée d'aristocrates" ANTOINE BLONDIN

«Le rugby c’est un supplément d’âme. Pendant les matches on est à la fois seul et au milieu. Avec l’autre on donne, on prend, on vole, on rend de l’énergie. En résulte une force incroyable. Tu n’es pas Dieu mais tu le fréquentes. » JEAN PIERRE RIVES

"En rugby la solidarité et l'enthousiasme sont des préalables au jeu" RAPHAEL IBANEZ

"Le rugby c'est 10% de physique et 90% de mental".AL CHARRON (International canadien) 

Le rugby, c'est un grand théâtre où on joue tous les dimanches. On ne peut pas être bon à chaque fois. Mais le grand acteur, celui qui dure, c'est celui qui se donne à chaque fois." RAPHAEL IBANEZ

"Le rugby est un jeu dans lequel les hommes peuvent s'affronter. Pour que l'affrontement soit permanent tu dois toujours avoir l'adversaire devant toi et le partenaire derrière toi. 

C'est ça la philosophie du rugby. Cette philosophie donne naissance à une socialisation complètement originale, anachronique dans notre société, qui est la socialisation de la fusion.

Dans tous les autres sports l'échange est médié par l'espace et la distance. Quand je joue au football je te donne le ballon et après je t'encourage. Je te dis: vas-y! Vas y! Le ballon est libre dans tes pieds. Moi je 'accompagne. Je suis solidaire de toi dans l'espace. Je vais dans un endroit où il n'y a personne. Je me démarque bien. Je joue avec toi. Mais aussi je suis loin de toi. Il y a un mec qui vient te tâcler, wouahh!!! C'est on problème. Et moi je te dis: allez, on repart! On continue!

J'ai avec toi une socialisation urbaine. La socialisation de la communication par les mots. En rugby quand tu as le ballon, il y en a quinze qui peuvent venir faire sur toi ce qu'ils veulent. Te plaquer. Te couper en deux. Te rentrer dans la tête.

Ils peuvent quasiment te tuer. La mort elle est jouée mais elle est potentiellement présente. Et cette socialisation qui va naître du rugby est une socialisation de la fusion. Parce que quand tu as le ballon au lieu de  t'encourager de loin je te dis: viens! Viens avec moi! Viens partager le danger! Viens partager avec moi la douleur!

Et on s'apercevra que, ensemble, fusionnant, se protégeant, affrontant, partager le rude deviendra l'agréable". DANIEL HERRERO

"Le rugby c'est une sorte de grand inter-villages qui fait appel à tous les costauds pour jouer devant, à tous les "court-vite" pour la ligne de trois-quarts. A l'instituteur à l'ouverture, pour penser, diriger le jeu. Au curé aussi pour ne pas que l'on s'entretue pendant les bagarres. C'est un jeu complet pour toute une population de village où il y aurait aussi bien le maire communiste que les grenouilles de bénitier." GUY ROUX (Entraîneur de football)

"C'est un jeu de lutte et un jeu de balle. Si l'accent est mis sur l'une où l'autre de ces deux composantes on parlera d'école. Mais comment expliquer le choix profond de telle ou telle philosophie du jeu? 

Raymond Barthès un jour m'a suggéré une piste: Dans nos régions les terrains sont tellement durs qu'ils paraissent être en ciment. Rien à voir avec la souplesse des champs de jeu du Pays Basque ou des Pyrénées. La pratique s'en trouve forcément affectée. 

Je suggère une autre piste: l'influence du vent. Ici, il est presque permanent. Il perturbe le système gestuel collectif. Alors pour ne pas être perturbé, on porte le ballon debout, dans un jeu groupé. Et, à l'inverse, on se le passe dans une ivresse de l'espace, inspirée par l'idée même d'océan et de liberté." RAOUL BARRIERE

"Le rugby du Sud-Est est un sport de combat, celui du Sud-Ouest est un jeu de circulation de balle. Les jeux des gamins sont éclairants. Les mômes du Sud-Est jouent à la "bataille", qui privilégie l'engagement physique. Les enfants du Sud Ouest jouent au "foulard", où la balle vole, où l'on évite le contact." CHRISTOPHE MOMBET

Ne manquez pas d'écrire votre adresse mail dans l'espace ce-dessous dédié et vous serai informé à chaque parution d'un articles. Avec ma gratitude

"Notre rugby est villageois et populaire, il cultive la nostalgie des singularités médiévales. On joue devant à Graulhet, on ouvre les vannes à Bayonne, les piliers de Montferrand ressemblent à des volcans, les secondes lignes landais à des pins de résine, on aime les échappées belles à Biarritz, la force des bras dans le sillon rhodanien ou la Bourgogne industrielle. 

Les fastueux frères Boniface seraient devenus fous d'ennui dans la gadoue du stade de Tulle, où l'on goûte les mêlées enfoncées plutôt que les envolées. Les fabuleux frères Herrero se sentiraient engoncés dans le blazer du racing. Les vannes intellos des farfelus du PUC sont intraduisibles au pays des apéros anisés et des tuiles romanes."

Des citations comme celles-ci j'en ai plein mon sac de rugby. Si la lecture vous a intéressé j'apporterai une suite à ce recueil de citations. Promis. A très vite mes amis...

A propos de rugby

Comment tout a été fait pour donner le Mondial du rugby à Mandela

Dans cet article je vous révèle comment le XV de France a été éliminé de la Coupe du Monde 95 qu'elle devait gagner.

En 1995, les rugbymen français ont le cheveu court. Pour obliger les photographes, qui les boudent, à leur rendre visite entre deux matchs de la Coupe du Monde, ils décident de devenir chauves. L'idée leur vient alors qu'ils s'entraînent dans une prison.

Une prison modèle, mais une prison quand même. Tout en répétant leurs tactiques, les Bleus peuvent apercevoir les prisonniers dans leur tenue rayée de bagnards, le crâne rasé. Alors, sur un coup de tête, ils décident de leur ressembler. C'est un carnage. Il y a quelques têtes cabossées qu'il vaudrait mieux couvrir. Avec des gueules pareilles ils sont assurés de ne pas passer inaperçus. Quand arrive le troisième match de poule contre l’Ecosse, les cheveux n’ont pas encore repoussé. Cela fait un carton dans la presse en Afrique du Sud.

Ce France-Ecosse est attendu comme un test, ce samedi 3 juin 1995 à Prétoria. L'enjeu pour les Français? Défaite interdite pour ne pas courir le risque de se retrouver face aux All Blacks dès les quarts de finale. Les joueurs du XV de France sont capables du pire, comme c’est le cas depuis le début de la compétition. Et même du meilleur, comme lorsqu’ils sont allés gagner la série de tests en Nouvelle Zélande durant l'été 1994. Les Ecossais sont en plein boum.

D'ailleurs, ils ont tellement d’énergie qu’ils se rendent coupables du saccage d’un restaurant quelques jours avant ce match. Ce débordement, relaté par un journaliste, fait le tour du monde, faisant passer la sélection d’Ecosse pour une horde sauvage.

Dans leur retraite en pleine brousse, les tricolores apprennent la composition de la sélection pour ce troisième match de poule. Il s’agit de la même équipe que celle qui s'est imposée deux fois chez les All Blacks l'année précédente. Rassurant. Une nouvelle fois les écossais jouent en bleu de chauffe, laissant aux joueurs français le blanc du renoncement. Blanc, comme ce drapeau que l’on brandit pour faire savoir à l’adversaire que l’on se rend. Le match commence plutôt mal pour l’ équipe de France qui rend très vite les armes, débordée par une sélection écossaise, plus mobile et plus inspirée. Dans le combat, la sélection française perd successivement Philippe Benetton et Guy Accocebery, tous les deux victimes d’une fracture d’un bras. D’un côté, les bras cassés, de l’autre, les braves écossais. Quand, juste avant la mi-temps, Wainwright inscrit un essai avec une facilité dérisoire suite à un dégagement contré de Jean Luc Sadourny, l'affaire sent le pâté. Et peut-être même la pâtée! Le sélectionneur Pierre Berbizier, dont les relations avec le Président Lapasset sont devenues exécrables, est agacé. Il ne veut pas lui donner du grain à moudre. Les supporters français sont inquiets. Heureusement, il y a Thierry Lacroix, qui va devenir quatre ans plus tard mon consultant. Bien dans ses pompes, il réussit tous les coups de pied qu’il tente, et remet l’équipe de France à flot chaque fois qu’elle donne l’impression de sombrer. Mais à la fin du temps règlementaire, le tableau électronique du Stade Loftus Versfeld rappelle que l'Ecosse mène au score (19-15). Il ne reste que quelques instants de temps additionnel pour entretenir l'espoir d'un miracle. A peine le temps d'une dernière vague d'assaut avec le courage en toile de fond. Depuis le coup d'envoi, la défense écossaise est impeccable. Quand les chardons envahissent la pelouse, c’est pire que les barbelés ! Heureusement, côté France, il y a Emile N’Tamack. Irrésistible. Au sommet de son art. D'un coup de rein dévastateur, il se faufile dans un trou d'Ecosse pour aller inscrire un essai en force, malgré un dernier défenseur accroché à ses basques. En quelques secondes, l'équipe de France est revenue de très loin pour arracher la victoire, et la première place de la poule. L’impossible existe. Les Français viennent de le démontrer.

Je ne sens pas cette Coupe du Monde. Tout me laisse à penser qu’elle est organisée en Afrique du Sud dans un seul but, offrir le trophée au président Mandela et à l'Afrique du Sud. Au fur et à mesure qu’on approche de la finale trop de choses anormales font deviner que le sport passe après la politique dans l’esprit des organisateurs. La première victime du coup de Trafalgar qui se prépare est l’équipe de France elle même. En demi-finale, la voilà opposée à l’Afrique du Sud sur la pelouse du Kings Park de Durban, le 17 juin 1995. Après des laborieux matchs de poule, les Français sortent d’une qualification sans bavure contre l’Irlande en quart de finale avec une marge de 25 points qui suscite une nouvelle dynamique, de nouvelles ambitions. Sur la route des Springboks, qui visent le titre, ce XV de France en progrès constitue par conséquent un obstacle de poids. Toute la semaine, les Tricolores se persuadent qu’ils peuvent réaliser un exploit. « Nous avons tellement à nous faire pardonner que nous avons envie de mettre le feu » commente Philippe Sella, qui est dans les starting-blocks. Cependant, un voyant rouge s'allume : « Durban, nous avons un problème » Curieusement, la veille du match, une demi-douzaine de joueurs français tombent subitement malades. La nourriture, l’eau? Allez savoir! Le hasard? C'est plus difficile à croire. Mais même le ciel s'y met. Ce samedi matin de demi-finale, le ciel de Durban fait grise mine. A l’heure de la remise des maillots il tombe des gouttes. Pierre Berbizier, le coach en sursis, offre le champagne. C’est son anniversaire. Les joueurs trempent les lèvres dans leur coupe. Mais, pendant ce temps, au dessus de Durban, le ciel se déchaîne. Un déluge s’abat sur la ville. L’orage gronde. Le vent secoue les arbres du bord de mer. Cet imprévu change les données du rapport de force puisque le jeu va s'en trouver bouleversé. Faut-il modifier la composition de l’équipe de France à certains postes pour s’adapter à ces conditions atmosphériques si inattendues? Berbizier y songe mais n’ose pas. En arrivant au stade, Philippe Saint-André et sa bande sont préoccupés par ce rendez-vous manqué avec le beau soleil de l’océan indien, par ce ciel qui leur tombe sur la tête. La pelouse est inondée. On ne voit pratiquement pas les lignes qui délimitent le terrain. Dans ces conditions, est-il raisonnable de jouer un match injouable? La raison dit non. Mais les intérêts financiers commandent. Les télés, qui ont payé les droits, font pression. Les voyagistes, aussi qui ont vendu des packages - une demi-finale le samedi à Durban, une autre le dimanche au Cap - à 7000 supporters français arrivés le matin par avion. Et qui doivent repartir le soir même parce qu’il ne reste plus une chambre pour les accueillir à Durban. On ne peut pas reporter ce match. On ne peut pas l’annuler non plus. Car, dans ce cas, l’Afrique du Sud serait éliminée au goal average ainsi que le soulignera le capitaine français Philippe Saint-André dans ses mémoires. Monsieur Bevan, l’arbitre gallois, n’a pas le choix. Il faut que cette demi-finale ait lieu. La pression sur lui est à son comble. Reste à espérer une éclaircie. M. Bevan reporte le coup d’envoi de 40 minutes. Sur la pelouse du Kings Park, transformée en piscine, je vois apparaître un bataillon de femmes de ménage qui s’emploient à chasser l’eau avec des moyens dérisoires. Sont-elles zoulous? xhosas? Toujours est-il qu’elles sont noires. Jamais je n'ai vu autant de sud-africains de couleur sur une pelouse de stade de rugby, d'ordinaire sanctuaire des blancs.

Philippe Saint-André gagne le toss, ce pile ou face organisé par l'arbitre, et choisit de laisser les Springboks commencer le match avec le vent favorable. En rugby, le vent aide une équipe à avancer en allongeant la longueur des coups de pied de déplacement. Vouloir avancer tout de suite, ou plus tard, est donc un enjeu stratégique essentiel. Mais une deuxième fois le coup d’envoi est retardé. Il tombe sur Durban un ciel de fin du monde. Et en dépit des efforts des « femmes shadoks » pour pomper l’eau, la pelouse ressemble à une rizière. Les Bleus ne paraissent pas affectés par ce deuxième report. Ils sont prêts à jouer tout de suite. Ou plus tard. Pourvu qu’ils jouent. Une seule chose est acquise : en raison de la météo, leurs projets offensifs doivent être revus à la baisse. A 16 heures 30 enfin une accalmie ! C’est l’heure choisie par M. Bevan pour donner le coup d’envoi. Chaque placage provoque des geysers. C’est injouable, mais on joue quand même. En moins d’une demi-heure, les français sont menés 10-0, sur une pénalité de Stransky puis un essai en force de Kruger, poussé par son pack suite à un ballon gagné sur touche près de la ligne.

Le problème c'est qu'il s'agit d'un essai fantôme, ainsi qu'en témoigne Philippe Saint-André, photo à l’appui, dans son livre « Paroles de capitaines (Mango Editions). Même Kruger, quelque temps plus tard, avant de mourir d'un cancer du cerveau à 39 ans, reconnaîtra qu’il n’a pas aplati le ballon dans l'en-but, rappelle le capitaine du XV de France. La botte magique de Thierry Lacroix, meilleur réalisateur de cette Coupe du Monde, limite les dégâts:(6-10). Peu de coups de pieds au but se perdent dans ce match si particulier. Mais à cinq minutes de la fin du temps règlementaire, la France est toujours menée de quatre points. Deux essais viennent de lui être refusés alors qu'ils étaient valables aux yeux du capitaine des Tricolores, ulcéré. Le premier à Emile N’Tamack, qui marque après avoir récupéré un ballon en l’air. Le second à Fabien Galthié, qui pointe dans l’en-but après avoir chapardé un ballon aux Springboks sur une mêlée à cinq mètres de la ligne. Dans ces dernières minutes irrespirables et héroïques, voici une troisième occasion d’essai qui se présente. Abdelatif Benazzi, lancé comme un frelon, récupère une passe de Philippe Saint-André et fonce vers la ligne pour inscrire l'essai de la victoire. Mais, sur ses derniers appuis, il bute sur le pied de son capitaine en chutant avec le ballon à vingt centimètres de la ligne, soit la longueur d’une main? Ou sur la ligne? Sur la ligne il y aurait eu essai, puisqu'en rugby, elle fait partie de l'en but. Mais qui peut voir la ligne? Existe-t-elle encore à cet endroit ou la boue la recouvre-t-elle? Même la vidéo n'apporterait pas de réponse claire. De toute façon, le recours à la vidéo n’existe pas à cette époque. Et Monsieur Bevan passe pour être le meilleur arbitre du monde. Il ne peut donc pas se tromper quand il décide de refuser l’essai. Même si c’est le troisième essai qu’il refuse aux français. Mais cet essai refusé qualifie l’Afrique du Sud pour la finale conformément aux rêves d'un peuple, ce qui est compréhensible, et des organisateurs, ce qui l'est moins. Essai ou arnaque ? Personnellement je n'ai jamais réussi à avoir une opinion tranchée tellement les lignes étaient floues. Mais quand c'est flou, il y a un loup...

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Il pleut toujours sur le Kings Park comme il pleut, maintenant dans le cœur des joueurs français, persuadés qu’ils sont les volés de l’histoire. En cet été 1995, la main d’Abdelatif Benazzi devient aussi célèbre que le nez de Cléopâtre. Cette histoire aggrave l’impression de malaise que génère la qualification assistée des Springboks pour la finale promise à Nelson Mandela. Ce malaise empire quand, à la réception d’après match, quelques heures plus tard, après l'essai refusé à Benazzi, le Président de la Fédération Sud-Africaine, Louis Luyt, offre une montre en or à l’arbitre. Ce cadeau fait jaser. D’autant qu’il n’est pas le seul. Quelques mois plus tard, j’apprendrai par des confrères que Derek Bevan a été invité à rester en vacances avec sa famille en Afrique du Sud pendant un mois après la finale. Bernard Lapasset, le Président de la FFR, assiste évidemment à ce samedi des dupes à Durban. J’attends au moins une protestation de sa part. Mais il ne bronche pas. Il est en course pour le titre de président de l’International Rugby Board. Les intérêts du rugby français ne sont plus sa priorité. Au lendemain de ce coup fourré, comme mes informations du début de la compétition le laissaient supposer, le contrat du sélectionneur Pierre Berbizier n’est pas renouvelé.

Dans les semaines et les mois qui suivent, Bernard Lapasset, qui vient d'exécuter son sélectionneur conséquemment aux trahisons de Philippe Saint-André et de la taupe, continue de présider la Fédération française de rugby comme si rien d’anormal ne s’est passé ce jour-là aux dépens de l’équipe de France. Sur un mur de son bureau, figure en bonne place une photo montrant un grand dadais en train d'applaudir le Président Nelson Mandela au moment où il remet la Coupe du monde au capitaine sud-africain François Pienaar. Comme tout le monde, il sait qu’après la demi-finale arrangée, il y a aussi beaucoup à dire sur ce qui a précédé la finale entre l’Afrique du Sud, la puissance invitante, et la Nouvelle Zélande, la puissance évidente. Il sait que la moitié de la sélection néo-zélandaise est victime d’une intoxication alimentaire deux jours avant la finale. Il est informé des différents témoignages, comme celui du manager néo-zélandais Colin Meads et du sud-africain Rory Steyn, chargé de la sécurité des All Blacks, qui évoquent un empoisonnement. Il ne peut ignorer que le détective privé, embauché par l’entraîneur néo-zélandais Laurie Mains, désigne comme coupable une serveuse de l’hôtel nommée Suzie. Mais il n’a pas d’états d’âme. Pas plus que le réalisateur américain Clint Eastwood qui raconte à sa manière l'épopée de 1995 dans le film « Invictus ». Dans le film, comme dans la véritable histoire, la victoire de l'Afrique du Sud était indispensable. Cette belle fin justifiait tous les moyens.

Quand « Invictus » arrive sur les écrans français, Pierre Berbizier refuse de le voir pour ne pas cautionner cette parodie de Coupe du Monde : « François Pienaar recevant la Coupe, tout ça avait été imaginé et il fallait que cela se passe comme ça ». Je partage cet avis. La véritable histoire et la manière dont le film la raconte, me restent en travers de la gorge. Pierre Berbizier ne réfute pas le bien fondé de la démarche: il avoue même avoir été, sur l'instant, aussi ému que les témoins de ce moment historique. Mais, que le réalisateur américain ignore à ce point le sort réservé aux adversaires placés sur le chemin des Springboks et ce triomphe programmé, est troublant. C'est particulièrement dérangeant pour les cocus de cette compétition qui constatent combien le film va dans le sens du roman d'Etat, pas de la vérité. Je peux comprendre le parti-pris : Clint Eastwood se préoccupe moins d'enquêter que de plaider pour l'humanisme de son héros noir. Il ne veut pas tant froisser Pierre Berbizier que rendre palpable aux américains l'ampleur de la tâche qui attend Nelson Mandela après son élection. Au pays de Barack Obama, où le rugby est un sport quasi inconnu, où la question raciale se pose encore, un chapitre sur la victoire volée du XV de France ne peut que brouiller le message que le réalisateur entend adresser à ses concitoyens.

Les réserves à propos de ce film n'empêcheront pas la grande famille du rugby français de se charger de sa promotion. Vingt ans après, est-il si gênant pour les dirigeants de ce sport de faire amende honorable ? Maintenant qu’il est le Président de World Rugby, l’honneur ne devrait-il pas dicter à Bernard Lapasset de désigner une commission d’enquête, ne serait-ce que pour rendre justice aux rugbymen français et néo-zélandais ? Sans effacer du palmarès le vainqueur du trophée offert à la nation de Mandela au seul nom de la raison d’Etat, le rugby, au moins, se rapprocherait d'une vérité nécessaire.

Cette année 1995 est l'année de ma rupture avec le rugby que je sers professionnellement depuis 27 ans, années radio et télévisions comprises. Non seulement je suis las d'avaler des couleuvres comme le scandale de cette Coupe du Monde arrangée, mais je vois d'un mauvais œil l'arrivée imminente du professionnalisme dans le rugby. J'estime que c'est son caractère amateur qui fait la richesse de ce sport. Parce qu'une défaite en passant ne touche pas le porte-monnaie des joueurs. Je milite pour ce droit à la différence arguant du fait que, comparés aux footballeurs par exemple, les pros du rugby ne peuvent être que des smicards. Et que par conséquent le jeu n'en vaut pas la chandelle. La majorité des footballeurs sont riches. La majorité des rugbymens sont précaires.

Le 27 août 1995, soit deux mois après le Mondial sud-africain, quand Bernard Lapasset, alors Président de l'International Board, annonce à Paris que l'instance dirigeante du rugby mondial décide de renoncer aux règles relatives à l'amateurisme et d'autoriser « toutes les formes de paiement, à tous les niveaux du jeu

» je réalise que la cabane est vraiment tombée sur le chien. Mais je veux croire que le chien n'est pas encore mort, en notant que l'IRB laisse à chaque fédération le soin d’interpréter « le professionnalisme ». Le 14 septembre 1995, je suis rassuré quand Bernard Lapasset, enlevant sa casquette de Président de l'International Board pour prendre celle de président de la Fédération Française de Rugby, déclare : 

 le rugby français a choisi de ne pas devenir professionnel...Nous avons pris cette décision en accord avec nos capacités de développement, nos moyens financiers et dans le respect de nos valeurs

 Je suis en phase avec ce choix. Alors, j'y crois, même si un quarteron d'internationaux français mené par Philippe Saint-André,  alors capitaine du XV de France, fait le forcing pour accélérer le mouvement et basculer plus rapidement et plus radicalement dans le professionnalisme. Avant le test d'automne contre la Nouvelle Zélande les sélectionnés français menacent de faire grève. Ils résistent à la FFR qui veut couper la tête des meneurs. Je me dis que le match que je m'apprête à commenter a du plomb dans l'aile. Et j'en suis presque satisfait tellement je suis opposé à cette fronde. Les mutins sont eux-mêmes divisés. Je lis ce témoignage de Laurent Benezech, représentant de la tendance dure de l'époque : 

 Philippe Saint-André était notre capitaine, mais il était planqué sous le lit à appeler Bernard Lapasset pour sauver sa peau. » Depuis ce jour, tout m'est apparu si clairement que je suis persuadé d'une chose : la nomination de PSA comme sélectionneur du XV de France, en remplacement de Marc Lievremont seize ans plus tard, est une conséquence de cet arrangement entre coquins. En tout cas, ce 11 novembre 1995 à Toulouse, jour de célébration de l'armistice, le test-match France – Nouvelle Zélande, un moment compromis, a bien lieu. C'est le millième match des All Blacks. Les Français le gagnent, grâce à un essai de Saint-André à neuf minutes de la fin.

Les dirigeants du rugby français, eux, gagnent quelques semaines de répit. Avant la fin de l'année 1995 ils organisent, en douce, le professionnalisme que le président de l'International Board a autorisé mais que le président de la Fédération a rejeté. Bernard Lapasset, l'homme aux deux casquettes, une visière devant, une visière derrière, ménage le passé, l'avenir, et ses intérêts. Il devrait être le gardien du temple, mais le garde frontières n'a eu finalement qu'une préoccupation : garder sa place.

Mondial de rugby 95 la grande escroquerie

Compilation des plus belles citations 

Ravi de vous retrouver pour la lecture de ce 3ème tome des plus belles citations dites à propos du rugby. Profitez...

"Cela peut paraître con, mais le rugby est un sport intelligent". BERNARD LAPORTE

"Il n'y a pas que des cons dans le rugby, mais tous les cons y sont." ALAIN ROUMIEU

"Si la victoire nous rend souvent "con", on devient plus intelligent dans la défaite." PIERRE BERBIZIER 

"Il vaut mieux être intelligent et capable de devenir con quelques minutes, que d'être tarte et de le rester." JEANCHARLES ORSO

"En rugby il y a ceux qui jouent du piano et ceux qui les déménagent" PIERRE DANOS

"En rugby le  plus important c'est de vivre le moment présent. Le passé? C'est déjà arrivé. Le futur? On ne peut pas le conditionner. Alors autant vivre le présent."FABIEN GALTHIE

"En rugby il y a un tempo comme en musique. La sortie de balle, c'était le tambour. Moi à mon poste d'ouvreur j'étais les cymbales. Et derrière, il y avait l'orchestre symphonique" THOMAS CASTAIGNEDE

"A Samatan, à Lombez à Mirande, dans le moindre recoin de ce sud-ouest le rugby sert de ciment, de lien. Il fait s'aimer, se marier, se déchirer des individus. Il m'a donné en cadeau des amis, mais m'a collé aussi quelques ennemis irréductibles." HENRI BRONCAN   

"Je n'ai pas encore éteint le gaz avec le rugby et je m'en irai quand j'aurai réglé quelques dettes, avec la conscience un peu plus tranquille que quand j'ai arrêté de jouer" SERGE SIMON

Si vous avez hâte d'en lire davantage écrivez votre adresse mail dans la zone grisée et vous serez averti lors de la prochaine parution. Bonne lecture...

«Le rugby, dès mon plus jeune âge m’avait envahi corps et âme grâce à cette force qu’on appelle communément la passion. La convivialité, la fraternité, le don de soi et le respect, sont encore l’essence même du rugby. Aujourd’hui j’ai toujours la nostalgie de ce sport magique qui rassemble des hommes pour perdurer ces valeurs. DIDIER CODORNIOU

« Pourquoi je joue ? Pour pouvoir tenir au bout des doigt, serrer, sentir, vriller, passer, garder précieusement, droper, dégager, aplatir et offrir cet ovale gonflé capable d’unir comme de ramener à l’état sauvage trente hommes de toutes origines. » FRANCK MESNEL

"En rugby on peut gagner ou perdre. L'important ce n'est pas le résultat mais ce qu'on a gagné sur le terrain. » RAPHAEL IBANEZ

"Le rugby est un mélange d'opéra, de ballet, et de meurtre." GWYN THOMAS (Dirigeant gallois)

«J’ai une passion pour le jeu, mais en réalité je crois que c’est à cause des hommes. J’ai eu la chance de voyager dans le monde de rugby et d’avoir des contacts avec beaucoup d’hommes de rugby. Ce sont des gens subtils. Les hommes de rugby se comprennent. » NICK MALLET (International sud-africain)

"C'est à sa discipline qu'on reconnaît une équipe" FABIEN GALTHIE

"Quand le rugby montre le bout de l'oreille, celle-ci est le plus souvent en chou-fleur" ANTOINE BLONDIN (Ecrivain)

"En rugby c'est difficile de parler de soi. On dépend tellement des autres" Eric CHAMP

"Le rugby est un jeu très intelligent. Et de plus en plus, car il va de plus en plus vite. Le benêt n'y a pas sa place". Bernard LAPORTE

"Ma philosophie du rugby se superpose à ma philosophie de l'amour: quand on aime on donne avant de vouloir prendre. En rugby j'ai plus donné que pris." SERGE BLANCO

Un 4ème article dédié à cette banque de citations est en projet. je n'ai pas encore épuisé mon stock de belles formules. A Bientôt

A propos de Rugby (Tome 3)

Des mots pour le dire...

Bonjour. Me voici de retour parmi vous. Cet article est un recueil de bons mots écris ou entendus à propos du rugby au cours de ma carrière de commentateur avant que la cabane tombe sur le chien...

"Le jeu de rugby évoque, pour moi, l'extraordinaire aptitude de l'homme à créer. Avouez qu'il faut à priori avoir l'esprit tordu pour construire un sport autour d'un ballon que, non seulement on n'a pas le droit de passer devant soi mais qui, en plus, est ovale! Pourtant, à partir de ces deux bizarreries, on a bâti un sport complet et intense, un sport qui laisse s'exprimer les individualités à condition qu'elles soient au service du collectif qui, seul, compte vraiment. Un sport où sont simultanément requis l'intelligence et la force, la puissance et la rapidité, l'adresse et la solidité, la fixation et le mouvement, l'intuition et le sang-froid. "

"Le rugby est un fondement éducatif de notre société en cela en cela qu'il n'y a pas de développement harmonieux de l'enfant sans que celui-ci soit confronté à la "grégarité". Avec tout ce que cela implique de situations conflictuelles. C'est l'éternel "avec" et "contre". Or chacun sait que notre société, en refusant le langage des corps - qui est pourtant le langage des enfants - nous a atrophiés et nous interdit de nous construire pleinement. La parole et l'intellect sont depuis trop longtemps les seules valeurs référentielles de notre civilisation judéo-chrétienne. Mais un enseignement qui comprendrait des pratiques intellectuelles et des pratiques sportives aurait toutes les chances d'être une totale réussite. 

Le rugby est ce paramètre indispensable. C'est la construction de l'individu à travers la confrontation des corps. C'est l'expérience de l'affrontement et de la fusion qui débouche forcément sur la solidarité et sur une socialisation différente.

"J'aime le rugby parce que c'est un mode d'expression, un reflet du comportement. C'est difficile à décrire parce que je n'ai là-dessus que des intuitions. Il faut faire le don de soi, ça passe souvent par le don de son corps. C'est plus une question de vérité que de courage, car on voit le caractère des gens.Le rugby est aux antipodes du "one man show". Il propose un art subtil de la réussite dans l'abnégation et dans l'amitié, où l'homme réputé inachevé par essence se complète enfin à travers les autres."

"Il m'est toujours resté du rugby la certitude qu'il endurcissait l'individu dans des proportions insoupçonnées.

"Le rugby c'est 10% de physique et 90% de mental".

«En rugby si on n’a pas la dimension mentale on ne peut pas relever le défi physique. »

"En rugby la question du pourcentage entre physique et mental n’est pas encore tranché. Ce sport est porteur de valeurs qui dépassent de loin la tactique, la technique et le physique. Le rugby est bien cette incroyable aventure humaine écrite avec du sang sur du papier à musique." 

"Le rugby c'est un sport de valeurs, c'est l'engagement, l'honnêteté, la transparence, l'humilité, la passion, la solidarité, le partage, le jeu d'équipe. Il y a une identification du rugby aux valeurs chères aux français, au moment où le sport est en train de devenir le premier spectacle."

"Le rugby est un jeu dans lequel les hommes peuvent s'affronter. Pour que l'affrontement soit permanent tu dois toujours avoir l'adversaire devant toi et le partenaire derrière toi. C'est ça la philosophie du rugby. Cette philosophie donne naissance à une socialisation complètement originale, anachronique dans notre société, qui est la socialisation de la fusion.

Dans tous les autres sports l'échange est médié par l'espace et la distance. Quand je joue au football je te donne le ballon et après je t'encourage. Je te dis: vas-y! Vas y! Le ballon est libre dans tes pieds. Moi je 'accompagne. Je suis solidaire de toi dans l'espace. Je vais dans un endroit où il n'y a personne. Je me démarque bien. Je joue avec toi. Mais aussi je suis loin de toi. Il y a un mec qui vient te tâcler, wouahh!!! C'est on problème. Et moi je te dis: allez, on repart! On continue! J'ai avec toi une socialisation urbaine. La socialisation de la communication par les mots.

En rugby quand tu as le ballon, il y en a quinze qui peuvent venir faire sur toi ce qu'ils veulent. Te plaquer. Te couper en deux. Te rentrer dans la tête.Ils peuvent quasiment te tuer. La mort elle est jouée mais elle est potentiellement présente. Et cette socialisation qui va naître du rugby est une socialisation de la fusion. Parce que quand tu as le ballon au lieu de t'encourager de loin je te dis: viens! Viens avec moi! Viens partager le danger! Viens partager avec moi la douleur! Et on s'apercevra que, ensemble, fusionnant, se protégeant, affrontant, partager le rude deviendra l'agréable".

"Huit joueurs forts et actifs, deux légers et rusés, quatre grands rapides, et un dernier, modèle de flegme et de sang-froid. Le rugby c'est la proportion idéale entre les hommes."

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"Le rugby est le prototype du sport total. On y saute, on y bondit, on y lutte. Il y faut autant de puissance que de finesse, d'esprit de résistance que d'âme offensive. On y requiert l'adresse, le courage, l'esprit d'à propos. On y pratique autant le lancer à la main que le coup de pied, le sprint que les qualités d'endurance. Le génie individuel y est aussi nécessaire que le service collectif. S'y impose une tête aussi dure qu'intérieurement bien dotée. Vous devez y savoir autant jouer que durer, crocheter que filer droit ou prendre à fond le "trou". C'est tout un art que de feinter la passe ou botter en chandelle, déborder sur l'aile ou botter au centre, lancer la cavalerie ou faire donner la masse. La stratégie y est de rigueur. La tactique aussi.

Vous y avez même plaisir d'architecture lorsque d'amples mouvements déroulent leurs arabesque; plaisir de sculpture, lorsqu'un géant de la deuxième ligne saute à la touche pour happer le ballon, plaisir de bridge lorsque avec un jeu minimum, le problème est d'obtenir le résultat maximum, et volupté de foule lorsque les spectateurs vibrent avec une empoignade qui ne cesse d'être intense."

Merci de m'avoir lu. Ceci est l'épisode II de la série de citations que j'envisage de soumettre à votre curiosité de temps en temps et qiue j'(ai compilé dans un livre "A propos de rugby" aux éditions Atlantica. A bientôt mes amis.

Recueil de citations à propos du rugby

Histoire de l'émission sportive la plus regardée de la télé

Ravi de vous revoir chers amis. Cette fois je vous raconte les coulisses de Stade 2 l'émission qui a reçu les plus grands champions dans une ambiance très festive ;-)

« Tu as une gueule à faire de la radio et une voix à faire de la presse écrite » plaisante avec obstination un compagnon de carrière, Jean Marc Lhénoret devenu réalisateur du rugby. Comme un pied de nez à ce destin, c’est à la télévision que j’atterris en cet automne 1976. Si j’en crois mon collègue, ce n’est pas gagné.

C’est Robert Chapatte qui me recrute. Pas pour mon passé de radio reporter mais pour mon court passage dans la presse écrite. Robert Chapatte est convaincu qu’un bon journaliste vient forcément de la presse papier. Il est un homme du son et de l’image. Mais, paradoxalement, il préfère le poids des mots au choc des photos.

Chapatte est un ancien coureur professionnel. Il a une réputation de bon pistard. Sur la route, ses performances sont plus modestes. Alors il a la tentation de s'inventer un palmarès. Par exemple, une victoire au Grand Prix de Quillan. « Mais sur déclassement de l'italien Bruno Garonzi en 1949» lui réplique aussitôt Jean Paul Olivier qui connait comme sa poche les performances du patron quand il était coureur cycliste. Et quand Robert Chapatte prétend avoir gagné un Paris-Brest, Paulo la science rectifie : « Tu n'as fait que virer en tête à Brest ». S'il n'a pas gagné beaucoup de course finalement, sa connaissance du vélo fait de Robert Chapatte un champion qui épate dès ses premiers reportages à la radio pour à la télévision. Plus qu'un commentateur c'est un conteur. Et je suis un de ses fans.

Quand il me débauche de France Soir, où je ne viens de passer qu’une petite année, il me dit que c’est pour préparer la succession de Roger Couderc qui doit prendre sa retraite sept ans plus tard. J’ai du mal à me projeter si loin mais je sais qu’en entrant au service des sports d’Antenne 2, j’entre dans la fine équipe qui anime Stade 2 chaque dimanche en fin de journée. L’émission existe depuis moins d’un an mais elle déjà très populaire. Une table ronde dans un décor à deux balles. Autour de cette table, encadrant Robert Chapatte le maître de maison, une bande de types ingérables qui prennent le studio pour le café des sports. Roger Couderc, Thierry Roland, Jean Michel Leulliot, Jo Choupin, Richard Diot, François Janin, Bernard Père et Jean Paul Ollivier sont là depuis le premier numéro de Stade 2. J’arrive dans ce marigot où les crocodiles font bonne mine le dimanche à l’heure de l’émission mais passent le reste de la semaine à flatter leur égo. Pour faire acte de présence le dimanche à la table de Robert Chapatte il y a du monde. Mais pour commenter une minute trente de sport en semaine dans le journal de 20 heures, la bande est souvent aux abonnés absents; ce qui a pour effet d’agacer Jean Pierre Elkabbach, à l’époque directeur de la Rédaction d’Antenne 2.

Je connais bien le patron du Journal Télévisé. Depuis France Inter nos routes se croisent régulièrement. Comme il m’accorde du crédit, Jean-Pierre Elkabbach me nomme rédacteur en chef adjoint, avec mission de remettre de l’ordre dans le service des Sports. Ainsi je me retrouve compagnon de bureau de deux poids lourds: Robert Chapatte, le rédacteur en chef, et Roger Couderc, le conseiller du Président. « Le seul conseiller qui ne conseille pas » aime-t-il à dire.

L’usage veut qu’il n’existe pas de tableau de service aux sports. Ou plutôt, que chacun le remplit en fonction de ses humeurs et de ses envies de présence au bureau. J’ai pour mission d’organiser tout ça. Par conséquent, d’imposer aux stars de Stade 2 des heures de présence aux conférences de rédaction du JT, et des jours de permanence au service de la rédaction du Journal. J’ai trente ans. Déjà beaucoup de vécu derrière moi. Mais je ne pèse pas lourd quand il s’agit d’imposer à Roland, Leulliot, Père et Choupin ce rôle de voix off dans une séquence de sport, souvent programmée en fin de journal télévisé. Et trop souvent supprimée, parce que la demi-heure de la séquence dédiée à l’information par la direction des programmes et le chef de chaine est atteinte avant la page prévue pour traiter le sport. Devant la mauvaise volonté de mes aînés, je donne ma démission à Jean Pierre Elkabbach au prétexte que je m’estime trop jeune pour assumer efficacement ma mission. Je demande à retrouver un poste de reporter qui me va si bien, arguant du fait qu’il sera toujours temps de reprendre des responsabilités d’encadrement un jour, si le train veut bien repasser.

Me voici donc à nouveau dans les habits d’un journaliste de terrain. Pour Stade 2, je reprends le bleu de chauffe du reporter terrain et découvre les entraves du mode télévision de l’époque. Un trio: caméraman, preneur de son, éclairagiste, comme trois fils à la patte; le film qu’un bug de laboratoire risque à tout moment de détruire; les options d’un monteur qui envisage raconter l’histoire en images d'une autre façon que moi. Bref, un manque total d' indépendance comparé au statut du radio-reporter et du journaliste de presse écrite.

J’aime particulièrement les interviewes. J’ai observé qu’elles sont trop souvent inodores, incolores, sans saveur. J’en déduis que la caméra, qui fait écran entre l’intervieweur et l’interviewé, doit être responsable de cette situation. Et je cherche un moyen de contourner l’obstacle. L’idée qui me vient à l’esprit est de provoquer mon interlocuteur. En agissant ainsi il se sent agressé. Il a le réflexe de se défendre en cherchant des arguments. Dans le feu de cette défense il en oublie la caméra qui enregistre ses propos. Et j’obtiens un résultat qui marque l’esprit du téléspectateur.

Le premier exemple réussi de ma méthode est cette interview de Jacques Fouroux dans Stade 2 en 1977 au lendemain d’un match France-All Blacks au Parc des Princes. Avant le déclenchement de la caméra je le préviens: « Je n’entends que des critiques à ton égard. Je vais les reprendre à mon compte. Tu vas pouvoir opposer tes arguments à tes détracteurs. Je prend l’engagement de ne rien couper au montage ». Jacques Fouroux accepte de jouer le jeu. Et à ce jeu là, il est phénoménal quand à ma critique: « vous avez une passe de maçon » il répond du tac au tac « il n’y a pas de sot métier ». L’interview est à peine diffusée dans Stade 2 que le standard de la télé explose. Le téléspectateur n’est pas habitué à ce style agressif. Du coup les mouches changent d’âne. Dans le rôle de l’agresseur je deviens le pestiféré des téléspectateurs élevés à la mamelle de « Allez les petits », l'expression passe-partout de Roger Couderc. Et dans le rôle de l’agressé, Jacques Fouroux génère de l’empathie, même chez ceux qui passent leur temps à le vomir. Malgré tout, je me dis que j’ai trouvé la bonne recette mais il ne faut que les questions deviennent plus mémorables que les réponses.

Dans le genre interview choc, je récidive en 1978, à l’arrivée de la première Route du Rhum. Celle-ci entre dans l’histoire parce que c’est dans cette traversée de l’Atlantique que le navigateur Alain Colas et son voilier Manureva disparaissent à jamais. Elle sort aussi de l’ordinaire parce qu’à l’arrivée à la Guadeloupe on assiste à un sprint entre le Canadien Mike Birch et le Français Michel Malinowski. Avec 98 secondes d’avance après 23 jours de course l’outsider, Mike Birch remporte l’épreuve devant Michel Malinowski, l’un des favoris. Parmi les autres vainqueurs possibles figure le truculent Olivier de Kersauzon. J’éprouve de l’intérêt pour ce navigateur hors norme qui n’hésite pas à claironner ses prétentions de victoire au départ de la course. Le problème est qu’il se rate complètement. C’est avec un jour de retard sur le vainqueur qu’il arrive à destination. Un échec retentissant pour cette grande gueule de la voile. Le moment est venu pour moi de lui demander des comptes. Dans l’interview, qu’il m’accorde à l’arrivée, j’ose: « Vous prétendiez être capable de gagner cette course, vous vous classez quatrième, finalement vous êtes un marin de pacotille. » Olivier de Kersauson accuse le coup mais, avec sa gouaille à nulle autre pareille, il tente de faire bonne figure et trouve une réponse que ma mémoire ne retient pas. En revanche je me souviens bien de sa remarque sitôt l’interview terminée : « J’aurais dû te foutre à l’eau avec tes questions à la con ». Quand l’interview passe dans Stade 2, elle fait l’effet d’une bombe dans l’entourage du médiatique navigateur. Plainte est déposée par ses amis auprès du patron de la chaîne. Je n’en subis pas de dommage collatéraux mais on me fait comprendre que je dois me calmer. Que faire? Le dos rond. Parce que les amis des Directeurs sont sacrés et qu’un journaliste de la chaîne ne pèse pas lourd quand sa façon de travailler dérange les amis des patrons. Je comprends que, dans ce métier de la télévision, le meilleur moyen de durer c’est de trouver tout le monde beau et gentil. Ce qu’entre nous on appelle, moqueurs, « l’effet Drucker ».

Stade 2 va son petit bonhomme de chemin, mais au fil du temps l’émission perd des cadres. En 1984, Thierry Roland, Jean Michel Leulliot, François Janin quittent le navire attirés par les propositions de la première chaine qui deviendra TF1 trois ans plus tard. En remplacement, arrive une nouvelle vague « d’élégants bipèdes » comme les appelle Bernard Père. Gérard Holtz, Hervé Duthu, Patrick Chêne, Daniel Cazal viennent exposer leurs gueules d’amour dans une émission qui commence à agacer le tandem Desgraupes-Pasteur, les boss de l'époque. Ils la jugent trop « beauf » et estiment que Robert Chapatte n’a pas assez d’autorité sur sa troupe.

J’ai beaucoup de complicité avec Daniel Cazal. Au-delà du tennis, le sport n’est pas forcément sa tasse de thé. Il préfère l’étude de la civilisation grecque antique. Mais il se plait, malgré tout, dans le bouillon d’inculture qu’est Stade 2 aux yeux de quelques penseurs. Pour rester dans l’esprit des « déconnantes » de vestiaire nous inventons des sports tel que le « Bar-a-rou » par exemple. Daniel Cazal, qui est chargé de la rubrique « résultats de la semaine », donne avec une belle obstination, tous les dimanches, des nouvelles de cette compétition née de notre imagination. Les images les plus insolites provenant d'une bourse d'images, celle des échanges internationaux, servent de support à l’illustration de ce sport. On se dit qu’un jour, un patron va pousser un coup de gueule en nous demandant d’arrêter nos conneries. Mais rien. Silence radio. Conclusion: les rabats-joies de l’étage supérieur ne doivent pas regarder l’émission la plus populaire de leur chaîne. Cela nous fait du repos. Et nous donne encore de belles heures devant nous pour mener tranquillement notre existence de déjantés. A ce jeu-là, nous poussons le bouchon toujours plus loin. Par exemple, je prends un malin plaisir à baptiser Constantin « Tépadansl'coup » le soigneur de l’équipe roumaine de rugby, et « Yvan Labibinosouzof », le meilleur joueur de l’équipe soviétique de hockey sur glace.

L’autre confrère avec lequel j’ai beaucoup de complicité est Pierre Fulla. Il est un transfuge de la première chaine. Son bureau est au septième étage de Cognacq Jay. En rejoignant l’équipe de Stade 2, il atterrit au sixième. Comme il est le plus petit d’entre nous, je prends un malin plaisir à expliquer son transfert en prétendant qu’il est descendu d’un étage parce qu’il ne supporte plus

de devoir sauter devant la porte de l’ascenseur pour atteindre le bouton du septième.

En 1986, Roger Couderc, est parti à la retraite depuis trois ans. Je suis le chef de la rubrique rugby dans Stade 2. Et je cherche à donner une note originale à l'écriture de ce sport. Je veux sortir de cette routine qu'est devenue la guirlande d'essais du week-end. C'est la fantasque équipe du Racing qui me donne l'occasion de proposer autre chose. Le jour d'une rencontre de Challenge du Manoir contre Perpignan, je me rends dans le vestiaire des joueurs parisiens pour l'interview d'après match. Et là, quelle surprise! Le vestiaire est transformé en caserne de commandos de Marines américains. Dans le rôle des Gi's, les joueurs des lignes arrières. En guise de treillis, ils portent encore la tenue du match : short blanc, maillot rouge cerclé ciel et blanc. La vapeur d'eau, provenant des douches où les avants s'efforcent d'effacer les traces du combat, provoque une brume qui transforme les joueurs au garde à vous en ombres chinoises. Dans un alignement impeccable ils font face à « l'officier de service » qui les passe en revue. Bras collés au corps, menton haut, mâchoire serrée, regard fixé sur le donneur d'ordres. Dans le rôle de l'abominable adjudant formateur, l'ailier Yvon Rousset. D'un ton brutal il hurle une série de questions. A chacune d'entre elles, les

Lafond, Mesnel, Blanc, Guillard, Puyau, Gosper (aujourd'hui Directeur de World Rugby) répondent en choeur : « Yes Sir ! ». Le cri claque comme un coup de fouet. Effet garanti. Me voici transposé dans l'ambiance si éprouvante du film de Stanley Kubrick « Full Metal Jacket ». Le caméraman qui m'accompagne filme en plan séquence. Le lendemain, dans Stade 2, je diffuse le reportage dans son intégralité. Succés total auprès des téléspectateurs. Ceux de la France cassoulet trouvent une occasion supplémentaire de traiter de oufs ces parigots qu'ils n'aiment pas trop. Et ceux de la capitale rient devant cette manière loufoque d'entammer la fameuse troisième mi-temps. La bande du « show bizz », comme elle se fait appeler, est née. Elle devient star par la grâce de la télé.

Désormais, la barre est haute. Je sais que, chaque dimanche, les fidèles de la rubrique rugby veulent qu'on les étonne. Avec le quintette Lafond, Mesnel, Blanc, Guillard et Rousset je tiens les personnages capables de répondre à cette attente sur le terrain et en dehors. Dans ce métier, je sais que le meilleur moyen d'être le mieux informé est de créer l'évènement soi-même. Je m'implique totalement dans les délires des showbizmen. Prochain rendez vous pris avec les énergumènes : le match Agen-Racing en championnat. Yvon Rousset propose de faire le commentaire du résumé à ma place. Banco. C'est dans le local où sont stockés les équipements du SU Agen que je retrouve Yvon Rousset. Ma doublure du jour arrive chaussé de grandes lunettes qui me rappellent quelqu'un. C'est avec l'accent d'Alain Decaux que l'ailier du Racing raconte les temps forts du match perdu par son équipe. Et c'est à mourir de rire. Evidemment, je diffuse la séquence dans le Stade2 du lendemain. Un triomphe. Désormais, la France du rugby ne peut plus se passer des trublions du Racing. Pendant les trois années qui suivent, ils vont de délires en délires. C'est en béret qu'ils jouent et gagnent un match de championnat à Bayonne le 11 janvier 1987, comme un clin d'oeil aux papys basques. Témoignage lu dans « Rugby papillon » , le livre qui leur est dédié: « La saison 1986-1987 débuta. Paris reçut d'abord Bayonne. Courte victoire parisienne. Dans les vestiaires, après le match, Jean Ba (Lafond) glissa à Pierre Salviac que le Racing irait jouer en béret basque le match retour. Aussitôt dit, aussitôt rapporté, amplifié sur le plateau de Stade 2. Après ça, y avait plus qu'à...Trouver des bérets pour les huit de la ligne arrière, le faire et, surtout, gagner. Parce que « prendre une branlée » avec une tête de Bourvil aurait été pire que tout. Robert Paparemborde (à l'époque entraîneur du Racing) circonspect mais curieux, donna son aval en promettant de payer les couvre-chefs. Au sortir du vestiaire, Yvon (Rousset) confia à Salviac le secret du béret bien porté : « Il faut plisser le front et visser dans le sens des aiguilles d'une montre ».Enfin ils sont entrés sur le pré, pieds moites et tête haute. Ils en sont sortis tête nue et les bras en l'air, en V comme victoire. Chaque fois ou presque qu'ils allaient faire les cons, il en serait ainsi. Le plus beau, c'est qu'ils ne le savaient pas encore... » .

Je suis de tous les coups, de toutes les provocs imaginées par les déjantés du show-bizz. Je fais partie de leur bande. J'excite leur volonté de défis, j'annonce leurs projets, les mettant ainsi dans l'obligation de tenir parole. Ils sont tellement dans l'esprit de Stade2 que je relaie toutes leurs frasques avec délectation. C'est en blazer qu'ils entrent sur la pelouse du Stade de Clermont Ferrand pour un quart de finale gagné contre Brive. C'est le visage barbouillé de noir qu'ils jouent contre Toulouse en signe de solidarité pour leur pilier Momo Lelano qui s'est fait traiter de nègre quelques semaines plus tôt pendant un match. Parfois, certains ont des idées tellement loufoques que leurs partenaires renoncent à les suivre. C'est le cas de Jean Baptiste Lafond seul à jouer contre Béziers avec un crâne en peau de chauve. C'est le cas du buteur Gérald Martinez qui se peint un soulier en or à Rodez, pour montrer qu'il est un grand buteur un soir de match pour échapper à la descente en division inférieure. Cela lui porte chance : le déconneur solitaire est l'artisan de la victoire et du sauvetage de son club.

Je continue de relayer à l'antenne le grand spectacle du Showbiz qui promène son cirque sur tous les stades de la France du rugby. Un Showbiz gagnant en plus. Après une finale ratée contre Toulon en 1987 avec un nœud papillon autour du cou, les joyeux drilles du Racing remettent ça au Parc des Princes trois ans plus tard pour une finale gagnée contre Agen. Mais ce jour-là, ils font la totale devant les caméras de France 2. Présentation d'avant match au président Mitterand avec, autour du cou, le nœud papillon désormais tellement célèbre qu'il va devenir une marque. Mais, cerise sur le gâteau, c'est à la mi-temps qu'ils poussent le bouchon encore plus loin. A cette époque, les joueurs de rugby ne rentrent pas au vestiaire. C'est sur la pelouse qu'ils sucent les citrons l'espace de quatre à cinq minutes. Averti du scénario envisagé, j'insiste auprès du réalisateur pour qu'il laisse une caméra en permanence fixée sur le groupe du

Racing. Et que se passe-t-il ? En short, blazer, et nœud papillon, l'ailier Yvon Rousset, écarté de cette finale pour cause de blessure, pénétre dans l'arène du Parc avec tout l'attirail du garçon de café. Sur son plateau, une bouteille de champagne et des verres à moitié remplis qu'il offre à ses potes du show bizz. Un pas de plus est franchi dans l'art de ne pas se prendre au sérieux tout en jouant sérieusement. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une finale du championnat de France. Le Racing s'impose après prolongation et brandit le bouclier de Brennus.

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Ce jour-là je constate l'évidence : l'esprit Stade 2 se confond avec l'esprit Show Biz. Et réciproquement. Je sais qu'avec ma complicité, des joueurs de rugby de haut niveau sont capables d'assurer le spectacle à tous les étages. Et que la loupe grossissante de la télé les fait entrer dans l'histoire. Je ne suis pas peu fier de ce compagnonnage avec des rugbymen extraordinaires. C'est ainsi j'aime vivre ma passion de journaliste de sport en ces années 80. Je n'ai qu'un seul regret. Que ce jour inoubliable de finale hors du commun, le Racing ne se soit pas présenté sur la pelouse du Parc des Princes avec des lettres à la place des chiffres dans le dos. M'inspirant de l'exemple de deux clubs anglais, Bath et Gosforth, je suis l'auteur de cette demande à Jean Pierre Labro, le président de la section rugby du Racing. L'homme est bien élevé. Il ne me renvoie pas à dix mètres quand je lui expose ma requête. En bon diplomate, pour ne pas lui donner suite, il invoque une impossibilité pour l'équimentier Adidas de faire le flocage dans les temps. Je n'en crois pas un mot naturellement. Cet échec m'inspire une remarque : non seulement les joueurs du Showbiz sont capables de marquer des essais en déconnant et de les transformer, mais leur Président sait aussi taper en touche...

J’aime ce vent de folie qui transforme les journalistes de Stade 2 en joyeux lurons. Après tout, le sport à la télé n'est que de « l'info-tainment ». Pour alimenter la boîte à idées loufoques, je ne suis pas le dernier. Par conséquent, rien ne me prédispose à enfiler sérieusement les habits du rédacteur en chef de l’émission quand elle m’est proposée en 1995. Mais ne dit-on pas que les plus grands bandits font les meilleurs flics? C’est ce qui se produit quand je passe de l’autre côté de la barrière. Je prends les rènes de l’émission en remettant l’église sur la place du village. Une nouvelle génération s’est installée à la place des disparus, des retraités et des transférés: Robert Chapatte, Roger Couderc, Jean Michel Leulliot, Hervé Duthu, Richard Diot, Daniel Cazal, Jean Marquet, Jo Choupin. Avec eux est parti l’esprit Stade 2. La nouvelle vague est plus préoccupée de prendre que d’apprendre. Le rédacteur en chef que je suis passe sa matinée à soigner l’égo des uns . Et l’après midi à motiver les autres qui traînent les pieds pour partir en reportage. C’est usant et je m’use à la tâche. Ma satisfaction se circonscrit à apprendre le métier à des jeunes que j'engage en contrat de qualification. Je suis fier aujourd’hui de constater que les Florent Houzot, Eric Hannezo, Fabrice Colin, Nicolas Vinoy, Cédric Beaudou font une belle carrière à des postes de responsabilité. J'ai réussi au moins ça pendant mes trois années passées à la tête de Stade 2.

Pendant toute ma carrière à France Télévisions j'ai mis mon tempérament au service du sport dont j'étais la voix. Dans son livre « Les clameurs du rugby », Pierre Albaladdejo témoigne : « Salviac a rendu des services au rugby que le rugby ne lui a jamais rendus. Dans les conférences de rédaction des sports de France 2, il n'avait pas son pareil pour demander du temps d'antenne...Là où un collaborateur de la chaîne grattait quelques minutes pour une brève interview, il était capable, par lui même, d'arracher des matchs entiers. (C'est ainsi que j'ai réussi à faire programmer au petit matin, à cause du décalage horaire, des matchs de l'hémisphère sud comptant pour la Bledisloe Cup. Cette programmation ne coûtait pas un Euro de droits à mon employeur puisque je troquais cette série de rencontres impliquant All Blacks et Wallabies contre le bloc des rencontres du Tournoi. Pour réussir cette bonne affaire j'avais encouragé France 2 à acquérir les droits des matchs du XV de France pour une exploitation mondiale). En écrivant ses mémoires, Bala complète ainsi son témoignage : « Dans un petit monde qui s'apparentait à une foire d'empoigne, Pierre Salviac savait comment faire pour tirer le gros lot. D'ailleurs, en plus, il n'a jamais hésité à donner un petit coup de pouce aux joueurs. A tous ceux qui ont monté des cafés, des restaurants, des chemiseries, des boutiques d'articles de sport, des établissements divers, etc..., il a prêté son aide spontanément et généreusement. En retour Salviac n'a pas reçu grand chose de la part de tous ceux qu'il a aidé, aux quatre coins de la France ».  

J'espère qu'après la lecture de cet article vous comprenez bien maintenant l'esprit de Stade2 l'émission qui a séduit tant de téléspectateurs pendant tant de temps. Merci de votre attention. Ne manquez pas de réagir;-)

Visitez les coulisses de Stade 2

C'était une belle personne. Je vous explique pourquoi?

Salut à tous. Aujourd'hui je vous raconte ma relation avec Jacques Fouroux. Il était le meilleur. C'est la raison pour laquelle la "grande famille" du rugby l'a éliminé...

Il parait que le rugby est une famille. Petite alors. Dans cette famille je ne connais que le frère. Il s’appelle Jacques Fouroux. Nous faisons connaissance un jour d’été 1966 lors d’un seizième de finale entre Cognac et Bègles. Je commente ce match à la radio pour l’émission « Sports et Musique » diffusée sur France-Inter. Je suis ébloui par la performance exceptionnelle d’un lutin inconnu qui joue demi de mêlée pour Cognac. Ce jour-là, il crève l’écran en même temps que ses adversaires. Le lendemain je l’invite à participer à l’émission de sports diffusée par la station régionale de Limoges. Ses pensées du jour sont aussi percutantes que ses percées de la veille. Je tombe sous son charme. Nous commençons une belle complicité qui prend fin un jour d’hiver 2005, quand il succombe à une crise cardiaque. Il a 58 ans.

Par un curieux hasard du destin, notre vagabondage dans le milieu du rugby prend fin en même temps. Je viens à peine de quitter mes fonctions de commentateur pour France-Télévision quand s'achève sa vie de trublion dans cette fameuse famille du rugby qui détourné de lui» Je n’assiste pas aux obsèques de Jacques Fouroux, dans la cathédrale de sa bonne ville de Auch, trop petite pour accueillir toute sa bande de vrais potes et un contingent de vrais faux culs. Dont Bernard Lapasset, encombré de peu de scrupules au moment de l'hommage :

«Je suis effondré. Jacques Fouroux était une personnalité comme le rugby sait en fabriquer. Il était hors normes, excessif, passionné, entièrement tourné vers le rugby. Je retiens avant tout l'image du joueur et du capitaine d'un Grand Chelem historique en 1977, où il avait montré son savoir-faire de meneur d'hommes pour une performance historique, qui fait encore référence presque trente ans après. Je me souviens aussi de la Coupe du monde 1987, au cours de laquelle, en tant qu'entraîneur, il avait mené le XV de France à la victoire face à l'Australie en demi-finale lors de l'un des plus beaux matches de l'histoire du rugby français et même mondial. Ensuite, son tempérament excessif l'avait conduit dans le jeu politique des dirigeants, où il était moins à l'aise. C'est à ce moment-là que nous nous sommes parfois heurtés. Mais aujourd'hui, je retiens le meilleur, l'image d'un homme qui a marqué sa génération. »

Si je manque mon dernier voyage à côté de Jacques Fouroux c’est pour ne pas entendre ce genre de discours d’après-match qui sonne si faux. Un discours aussi inutile que les « bourses du Pape et les seins d’une nonne » pour reprendre à mon compte cette citation de Jean Pierre Rives. Je connais trop Bernard Lapasset, alors président de la Fédération Française de rugby, pour savoir qu’il est le plus mal placé pour parler en bien de son cher ennemi. Pour tant de placages à retardements assénés à celui que la France du rugby affuble du sobriquet de « petit caporal », il devrait être suspendu, au moins. Puisque pendu n’est pas le sort que la famille du rugby réserve à ses champions du double langage.

Jacques Fouroux est le fil rouge de ma carrière de commentateur. La fraternité qui nous unit me donne des privilèges. Je suis souvent le premier informé parce que je suis autorisé à vivre au plus près ses faits, gestes et décisions. Cette proximité me donne aussi des devoirs. A commencer par celui d’être au soutien quand arrive sa première carie. Mais cela m’oblige à un savant exercice d’équilibriste: suffisamment proche pour valoriser le personnage, suffisamment libre pour ne pas réduire ma relation au rôle de porte-parole. En 1968, Jacques Fouroux est sélectionné pour la première fois en équipe de France. Contre l’Irlande, dans le Tournoi des cinq Nations, il doit former avec Jo Maso la charnière de la sélection. Le week-end précédent Jo Maso s'est blessé au cours d’un match de championnat de France. Le comité de sélection décide de le remplacer à l’ouverture par Jean Gachassin. Mais, pour mettre de l’huile dans les rouages de la charnière, les sélectionneurs décident de convoquer à la mêlée Jean-Henri Mir, son équipier de Lourdes. Exit Jacques Fouroux. Viré sans jouer. Une grande première dans le rugby français qui cultive l’art des coups tordus. Le temps passe. J’attends avec impatience que soit donnée une deuxième chance au grand cocu de l’avant printemps 68. Comme Jacques Fouroux, je dois attendre quatre ans. Nous sommes en 1972. Je suis une voix du rugby sur France-Inter. Dans la salle des pas perdus de l’aéroport d’Edimbourg, où l’équipe de France attend le vol qui doit la ramener à Paris, j’interpelle Albert Ferrasse et Guy Basquet. L’un est Président de la Fédération, l’autre Président du comité de sélection. Je leur rappelle que Jacques Fouroux attend une sélection donnée d’une main et reprise de l’autre quatre ans plus tôt. Je leur dis que je trouve insupportable cet injuste traitement. Ai-je autant d’influence que ça? En tout cas, je suis bien le seul journaliste à me faire l'avocat de la cause Fouroux à cette époque-là. Et je dois être un plaideur écouté puisque, quelques semaines plus tard, le nom de Jacques Fouroux apparaît dans une sélection. Les « tontons ma Croûte » de la Fédération ne prennent pas beaucoup de risques. Ce match contre l’Irlande compte pour du beurre. Répondant positivement à l’appel à l’aide de la Fédération irlandaise, boycottée dans le Tournoi par l’Ecosse et le Pays de Galles pour cause de guerre civile en Ulster, la France accepte de jouer à Dublin un match de charité hors Tournoi 1972. C’est une sélection charité également pour Jacques Fouroux, l'intrus des médias qui lui préfèrent Richard Astre sorti en tête devant Max Barrau d’un sondage provoqué par le journal l’Equipe. Dans cette lutte d’influence, j’accepte le combat. Fouroux-Salviac contre le reste de la France du rugby. Ce type de challenge nous plait bien. Nous aimons l’adversité.

Le match est déséquilibré. Fouroux et sa « passe de maçon », son look de « moins que rien » avec les chaussettes échouées sur les chevilles. Astre et Barrau le geste juste, l’élégance des petits princes de l’ovale. C’est loin d’être gagné. Dans ce contexte hostile, Jacques Fouroux doit attendre deux ans avant ses débuts officiels dans le Tournoi 1974 contre le Pays de Galles. Mais quand on lui donne la clé du XV de France, il prend le trousseau. Débutant en mars, il est capitaine en octobre contre la Roumanie à Bucarest. Si le joueur continue d’être discuté, le capitaine, en revanche, fait vite l’unanimité; force du verbe, charisme d’un chef, courage exemplaire. Le « petit caporal » reçoit son bâton de Maréchal lors du Tournoi 1977: Grand Chelem pour le XV de France. Sous sa houlette, le même groupe de quinze joueurs remporte les quatre matchs en ne concédant aucun essai. Même Roger Couderc, d’ordinaire plutôt enclin à pousser dans le sens du vent, finit par trouver des qualités à ce personnage si clivant. Mais si attachant, aussi.

Fin du premier chapitre dédié à Jacques Fouroux. Dans le prochain article je vous en dirais plus sur ce personnage extraordinaire qui a marqué une ère du rugby français.

Qui était Jacques FOUROUX

Voyage en pays déchiré par une guerre de religion

Que sais-je des tenants et aboutissants de cette Irlande divisée au moment où je déambule dans ce labyrinthe dont on me dit qu'il débouche nulle part? Avec le rugby au moins tout est simple. Des hommes que tout sépare font cause commune drapés dans le maillot vert si symbolique de l'équipe d'Irlande. Ils cachent ainsi le mal profond qui ronge qui ronge cette êle au quotidien. En 1969, les joueurs les plus en vue de la sélection rilandaise sont le colosse Willie John Mc Bride et l'élégant Mike Gibson. Tous les deux sont originaires de Belfast. Ils ont une éducation unionoste que confirme un passeport britannique. Quand ils sont à Dublin pour un match du Tournoi ilssont les idoles d'une population viscéralement républicaine, résolument hostile au respect de la monarchie qu'incarnent ces deux icônes. 

En introduction de mes commentaires les jours d'Irlande-France je me suis habitué à flatter le paradoxe de ce pays décidément pas ordinaire. J'explique aussi à mes auditeurs pourquoi ils entendent l'hymne irlandais quand le match est joué à Dublin et pas d'hymne quand le match est joué au Parc des Princes. L'hymne du sud Soldier's Song parce que le match est joué sur le sol de la République. Pas d'hymne à Paris puisque la sélection irlandaise n'est pas représentative d'un pays mais de deux: la République d'Irlande et le Royaume Uni. L'équipe d'Irlande n'est pas une sélection nationale. Elle est la sélection de la Fédération qui gère le rugby dans toutes les provinces de l'île.

En ce dimanche d'août je suis à Londonderry pour expliquer aux auditeurs de France Inter pourquoi les irlandais du nord sont en état de guerre civile. Je sais expliquer les subitilités du jeu de rugby. Pourquoi un hors jeu ? Pourquoi une défense inversée ? Ce n'est pas toujours chose aisée mais j'y arrive. Aujourd'hui ce qu'il s'agit d'expliquer m'échappe totalement. D'où cette virée dans le ghetto catholique du Bogside pour voir, écouter, rapporter. Il s'agit surtout d'expliquer pourquoi 40% de protestants peuvent imposer leurs volontés à 60% de catholiques? Parce que le découpage politique confine sur une petite surface les catholiques, plus nombreux

que les protestants, qui sont dispersés sur de plus grandes étendues. Le nombre plus élevé de circonscriptions

 permet d'envoyer plus d'élus au Parlement de l'Ulster. Je conclue mon reportage ainsi : « Il n'y a qu'au cimetière que les protestants ont laissé les catholiques en prendre à leur aise avec la surface occupée. Parce que les morts de votent pas. »

Quand je reviens à l'hôtel à la nuit tombée c'est le branle-bas de combat. Le feu s'est déclaré. Evacuation des lieux me dit l'employé de permanence. J'arrache mes bagages en catastrophe et quitte Londonderry direction Belfast. Je laisse derrière moi une population qui va s'affronter à coup de lancers de pierres, de cocktails molotov, et de balles pas perdues pour tout le monde Une nuit d'émeutes va encore agiter le Bogside. Si un voyage vous conduit un jour à Derry les murs vous raconteront cette histoire. Cette ville de sans-culottes abrite une génération de talentueux artistes de rue. Fleurissent dans le ghetto de touchantes fresques murales peintes pendant les années de troubles. « The Petrol Bomber », qui apparaît en 94 célèbre la bataille du Bogside que je vis comme envoyé spécial en ce mois d'août 69. Ce dessin représente un enfant avec un masque tenant un cocktail Molotov avec des fumées de gaz et en arrière plan les Rossville Flats, ces bâtiments de la rue principale, théâtre principale de la bataille du Bogside. D'autres fresques commémorent le « Bloody Sunday de 72 », beaucoup célèbrent l'IRA (Irish Republican Army).

Quand on est journaliste on doit respecter une règle de trois : thèse, anti-thèse, synthèse. De Derry je n'ai entendu qu'un son de cloche. Celui de la majorité opprimée. A Belfast je vais entendre l'autre son. Celui de la minorité oppressante. La voix des protestants est tonitruante. C'est celle du Pasteur Ian Paisley. Un va-t-en guerre. C'est dans Crumlin Road que je rencontre ce bouffeur de « Papistes » comme il les appelle. A la façon dont il me reçoit je devine qu'il m'a mis dans le camp d'en face. Il m'annonce que ce soir, dans le quartier catholique de Falls Road, l'armée britannique, pour la première fois, va utiliser les balles en caoutchouc et que 

 va faire des dégâts. Je me prépare à vivre au plus près les péripéties de cette nuit d'enfer promise par Paisley. J'ai trois heures devant moi. Je décide de passer par mon hôtel, l'Europa où se regroupent les envoyés spéciaux du monde entier. Pour constituer un réseau d'informateurs ? Pas pour se mettre à l'abri d'un attentat à la bombe en tout cas. Régulièrement les clients sont prévenus par une note déposée dans les chambres. Je reçois celle-ci : « Cher hôte. Du fait des troubles dans Belfast, il risque d'être nécessaire d'évacuer l'immeuble. Dans ce cas, la sirène sonnera sans interruption, et vous recevrez un coup de téléphone dans votre chambre. » On ne compte plus les vitres qui volent en éclat dans le souffle d'une explosion anonyme dans cet hôtel. La presse locale traite le sujet avec dérision. Elle résume ainsi les faits : « les seules personnes qui font des affaires à Belfast sont les vitriers et les marchands de contreplaqué » Le destin m'est favorable. Quand l'Europa explose sous l'effet d'une bombe posée par l'IRA je suis de retour à Paris

A l'Europa Hotel ce jour d'arrivée à Belfast je fais connaissance de mon célèbre confrère Lucien Bodard qui est l'envoyé spécial de France Soir. L'après-midi est bien avancé. Je décide de partir en maraude dans le quartier catholique de Falls

Imaginez des rues encombrées de barrières et de chicanes, des pierres plus ou moins groses éparpillées sur le bithume, des bouteilles de bière brisées. Tout est clauque dans ce secteur transformé en champ de bataille. Et il y a l'odeur de la fumée – celle de la tourbe provenant des maisons les plus pauvres, celle d'un charbon de moins mauvaise qualité quand elle

des maisons moins pauvres. Cette fumée acre prend à la gorge, imprègne les vêtements. Il arrive encore aujourd'hui que m'a mémoire, qui l'a tatouée, me la restitue.

Comment reconnaître un quartier catholique d'un quartier protestant à Belfast ? C'est mon premier travail en arrivant dans la capitale de l'Irlande du Nord ? Il y a la couleur des trottoirs, les peintures murales, la langue gaélique des plaques de rue du secteur catholique, cette chanson qui passe en rangaine dans les bars protestants de Shankhill :

Pour apprendre à se situer dans Belfast il y aussi la presse. Pas la peine, par exemple, de chercher un exemplaire de News Letter dans le quartier catholique de Falls. Un jour, je bute sur un cas bien singulier. Deux journaux avec lesquels j'ai pris rendez-vous se font face : le Belfast Telegraph (Unioniste) et l'Irish News (Républicain). Ils ne sont séparés que par un pub baptisé « The Front Page ». Traduisez la Une. Chaque surprise

me fait découvrir les irlandais: redoutables frondeurs mais capables de distiller

profonds traits d'humour même en pleine guerre civile.

retour à l'hôtel comme un soulagement. Je suis passé entre les balles des snipers. Je n'ai pas été blessé par les cocktails molotov. Je n'ai pas été kidnappé, mais à cette époque on ne kidnappe pas les reporters de guerre. Je suis donc sain et sauf. Et surtout mon « nagra » a tout enregistré. Ouf! Car l'obsession d'un radio-reporter en mission c'est l'enregistrement. Mon magnéto a-t-il imprimé la bande son ? Ne m'a-t-il pas trahi ?

Au fil des mois je suis devenu le spécialiste de l'Irlande du Nord à France Inter. Chaque fois que cela chauffe en Ulster je quitte le bureau des sports pour le service de politique étrangère. Cela me convient. Je ne vois pas le sport comme un divertissement sans histoire et sans conséquence. Mes escapades extra-sportives m'enseignent à replacer un match ou une course dans son contexte historique, politique, économique et social. Alors tout en égrenant les résultats dans les journaux parlés je continue à suivre avec grand intérêt les évènements qui interpellent le monde. Et je suis toujours en mode stand-by pour aller témoigner. Quand en mai 81 Bobby Sands meurt d'une grève de la faim, victime de la politique jusqu'auboutiste de la Dame de Fer, je ne suis plus l'envoyé spécial en Irlande du Nord mais je sais tout de cette