David L'Epée
David L'Epée

5 avril 2023 7 minutes de lecture

Chéri.e, j’ai déconstruit les gosses !

Vous avez donné naissance à un enfant doté d’un pénis et vous craignez qu’il ne s’agisse d’un garçon ou, pire, d’un homme en puissance, forcément macho et dominateur ? Il existe une solution. C'est dans le dernier numéro de « Elle ».

J’ai une passion coupable, qui vire souvent à l’obsession : je lis tout ce qui me passe sous les yeux. Je fais des revues de presse à peu près depuis que je sais lire et je suis assez semblable à la vision que Hegel se faisait de l’homme moderne pour qui, écrivait-il, la lecture des gazettes fait office de prière matinale. Bref, je lis beaucoup, partout et un peu de tout. Il arrive pourtant, les journées n’ayant que vingt-quatre heures, que certains titres de presse échappent à mes radars, ce qui n’est pas très grave car je peux compter sur un solide réseau d’amis et de correspondants qui m’envoient quotidiennement des articles pêchés çà et là. Je remercie donc aujourd’hui mon amie Anaïs, qui a attiré mon attention sur un article paru le 16 mars dans le magazine Elle dont je ne suis, vous vous en doutez, pas tout à fait le cœur de cible.

Un déclencheur : l’affaire Vincent Cassel

L’article en question, signé Florence Trédez, est intitulé « Tu seras féministe, mon fils ». Il se veut une réponse aux récentes déclarations de Vincent Cassel qui, pour rappel, avait tenu le 17 février dernier les propos suivants dans un entretien accordé au Guardian : « C’est presque honteux d’être un homme de nos jours. Vous devez être plus féminin, plus vulnérable. Mais si les hommes deviennent trop vulnérables et trop féminins, je pense qu’il va y avoir un problème. » Il y a quelques années encore ces quelques phrases anodines n’auraient sans doute pas retenu l’attention outre mesure mais aujourd’hui elles ont suscité une vaste polémique, déchainant tweets rageurs, insultes en ligne, déclarations d’acteurs se désolidarisant de leur confrère (Charles Berling notamment), réactions féministes agressives dans les médias et la blogosphère, etc. « Des propos qui passent mal » commente le site Au féminin tandis que le site Madmoizelle explique que « les propos du comédien sont révélateurs du chemin qu’il reste encore à parcourir » (pour aller où ?). Sur le média en ligne Terra Femina, le journaliste Clément Arbrun, qui voit dans les déclarations de Cassel une forme de « toxicité perverse » et une « logorrhée d’un autre temps », ne cache pas sa consternation : « Pas très moderne tout ça. On se demande ce qu’ont tous les mecs quinquas avec ce fantasme qu’est le “déclin de la masculinité”. […] En vérité, on peut voir là une réaction typique de mec dépassé par l’évolution des mentalités. »

Vincent Cassel, la nouvelle bête noire des féministes

La palme de l’indignation revient toutefois sans conteste (et sans grande surprise) aux Inrocks, qui qualifient Cassel de « Monsieur Jourdain tranquille de la beauferie », les quelques phrases incriminées relevant selon le journaliste d’« une somme d’idées arriérées sur les hommes, les femmes », d’« une enfilade de perles pépouzes, de clichés réacs et bonhommes, de préjugés ridicules à la grand-papa », sa réflexion se limitant à un « argument de base du Français moyen macho qui s’ignore […] plus proche des Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio que de Judith Butler », et de conclure : « On reste pantois devant tant de puérilité sereine. » J’avoue pour ma part être resté pantois devant ce déluge de propos méprisants (mâtinés, comme toujours dans cette presse-là, d’un certain mépris de classe) et n’avoir pas bien compris ce qui justifiait, dans ces quelques mots de l’acteur français, un tel déferlement de fureur expiatoire. A tel point que je me suis penché moi-même sur cette polémique, dont j’ai fait le point de départ d’un long article de fond intitulé « A la recherche de l’homme déconstruit », que vous pourrez découvrir d’ici une semaine ou deux dans le prochain numéro de Krisis à paraître.

Mais revenons à cet article d’Elle. La journaliste nous met en garde contre les « masculinistes », qui semblent être partout à l’affût, prêts à pervertir nos petites têtes blondes pour en faire d’affreux petits phallocrates en herbe. « Les mascus sont bien parmi nous ! » nous met-elle en garde, nous alertant contre « leur insidieux pouvoir de manipulation de l’opinion publique par les réseaux sociaux »… La preuve de leur influence ? « Le rapport annuel du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur l’état du sexisme en France n’a rassuré personne : les jeunes générations sont plus sexistes que leurs aînés. » Avec tout le battage féministe auquel on a droit depuis quinze ou vingt ans, c’est tout de même ballot d’en arriver là ! A croire que lorsqu’elle dépasse un certain dosage, la propagande a tendance à inverser ses effets et à se retourner contre elle-même…

Pour « éviter d’avoir chez soi un petit macho »

Grâce aux lumières de quelques auteurs pour enfants « conscientisés » aux enjeux féministes, l’article se propose, sur deux pages, de nous donner quelques « conseils pour éviter d’avoir chez soi un petit macho ». Une perspective qui, convenons-en, fait froid dans le dos. Quelles sont les propositions de ces auteurs ? il y en a principalement cinq :

  • Valoriser le féminin

  • Proposer aux garçons une diversité de jeux et de modèles

  • Leur apprendre à exprimer leurs émotions

  • Les éduquer au consentement

  • Les faire participer aux tâches domestiques

Il y a là-dedans, comme qui dirait, à boire et à manger. J’adhère évidemment sans réserve à la première proposition : passionnément attaché à la différence des sexes, rien ne me déplait davantage qu’une éducation non genrée laissant entendre implicitement aux petites filles que ce qu’elles sont relève d’une malédiction et qu’elles devraient tout faire pour s’affranchir de leurs déterminations naturelles. Il va de soi également qu’à cette valorisation du féminin devrait faire écho, sur un mode égalitaire, une même valorisation du masculin, mais… mais c’est justement là que ça semble coincer pour les auteurs interrogés dans l’article. L’éducation au consentement me semble une mesure tout aussi pertinente et je ne trouve rien à y redire. Quant à faire participer les garçons aux tâches domestiques, il n’y a là non plus rien de honteux, pour autant bien sûr qu’on n’en fasse pas (ni dans un sens ni dans l’autre) une sorte d’étendard politique ou identitaire, ce qui serait proprement ridicule. Et pour ce qui est d’exprimer ses émotions… il s’agirait d’abord de pouvoir s’exprimer tout court, quelle que soit la chose qu’on ait à dire, et cette capacité, évidente hier, semble l’être de moins en moins à en juger par les gros problèmes de communication qui touchent aujourd’hui les plus jeunes et dont on ne sait s’il faut les attribuer à la faillite de l’école ou à une éducation familiale démissionnaire.

C’est le deuxième point, celui portant sur la diversité des jeux et des modèles, qui est le plus litigieux et qui, forcément, occupe le plus de place dans l’article, sans quoi celui-ci ne pourrait pas vraiment être qualifié de féministe. La journaliste nous recommande d’éviter « les phrases qui sous-entendent que certaines choses sont réservées à tel ou tel sexe – ce qui est faux – et que ce que font les filles, c’est moins bien (puisqu’il ne faut surtout pas le faire) ». Voilà déjà que le premier point passe sous le tapis : en effet, comment est-on censé « valoriser le féminin » à partir du moment où on refuse l’idée que certaines choses sont réservées aux filles ? On a là, comme en filigrane, tout le problème d’un certain sous-texte misogyne présent aujourd’hui dans une large part du discours néoféministe : la distinction des genres serait forcément discriminatoire (au sens moderne du terme, celui d’une hiérarchisation) car tout ce qui n’est pas masculin serait censément inférieur ou de moindre valeur. Mais qui prétend cela exactement ? Pour obtenir l’égalité il conviendrait donc de tout niveler, de tout rendre indistinct, par peur de cette différence qui fait pourtant tout le charme de la vie et ce dès l’enfance.

Disney à l’avant-garde de la déconstruction

Pour abolir cette distinction il faudrait, nous dit l’article, « proposer des contre-modèles dans la littérature jeunesse ou les dessins animés ». C’est ce que s’échinent à faire depuis quelques années Disney+ et autres plateformes de vidéos en ligne pour les enfants. On se souvient ainsi qu’en avril de l’année passée Karen Burke, directrice de la branche TV de la 20th Century Fox, une filiale de Disney, avait déclaré qu’il faudrait selon elle que 50% des personnages des futurs films produits par la firme soient désormais gays ou issus de la communauté LGBTQIA+. Un article paru en février 2022 dans Valeurs actuelles rapportait qu’une antenne du Planning familial de Pennsylvanie, participant à un concours sur Twitter demandant de répondre à la question « Quelle princesse voulez-vous voir apparaître dans un film Disney ? », avait répondu : « Nous voulons une princesse ayant avorté » Cette demi-mesure est encore trop timorée à mon sens : nous voulons un prince ayant avorté ! C’est bien ça, non, la « diversité des modèles » ?

Et le consentement alors, Mickey ?

A propos de princesses justement, un des auteurs de littérature enfantine interrogé dans l’article d’Elle, une certaine Tiffany Cooper, explique qu’elle n’a rien contre le fait de mettre en scène ce type de personnage dans ses livres mais qu’elle préfère, « quand c’est une princesse, qu’elle pète et qu’elle s’en foute ». La grande classe. Mais qu’importe notre scepticisme d’adultes cisgenres et stéréotypés, les enfants abreuvés de cartoons queer et de contes non genrés pleins de princesses péteuses et de chevaliers déconstruits n’en seront, à n’en pas douter, que plus épanouis et plus équilibrés psychiquement. Qu’est-ce qui pourrait bien vous faire penser le contraire ? C’est grâce à ce grand brainstorming infantile qu’on réussira, nous assure la journaliste, « l’éducation d’un futur petits gars cool et respectueux ». Si vous le dites…

Mais au fait, Elle, ce n’est pas un peu essentialiste et rétrograde comme titre pour un magazine ? Je croyais qu’aujourd’hui il fallait dire Iel

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David L'Epée
Lancé il y a 2 ans

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  1. Chenin
    Merci de cette solide contribution, intelligente, rafraichissante et qui fait du bien.
© 2023 - David L'Epée
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