Pierre Salviac
Pierre Salviac

19 août 2022

Le Mondial rugby 95 offert à Mandela

Pourquoi le XV de France ne pouvait pas gagner la Coupe du Monde

Le Mondial de rugby 95 ne se jouait pas sur le terrain mais en coulisses. Le XV de France en a été la première victime. Je raconte les coups fourrés qui ont abouti à cet objectif...

Je ne sens pas cette Coupe du Monde. Tout me laisse à penser qu’elle est organisée en Afrique du Sud dans un seul but, offrir le trophée au président Mandela et à l'Afrique du Sud. Au fur et à mesure qu’on approche de la finale trop de choses anormales font deviner que le sport passe après la politique dans l’esprit des organisateurs. La première victime du coup de Trafalgar qui se prépare est l’équipe de France elle même. En demi-finale, la voilà opposée à l’Afrique du Sud sur la pelouse du Kings Park de Durban, le 17 juin 1995.

Après des laborieux matchs de poule, les Français sortent d’une qualification sans bavure contre l’Irlande en quart de finale avec une marge de 25 points qui suscite une nouvelle dynamique, de nouvelles ambitions. Sur la route des Springboks, qui visent le titre, ce XV de France en progrès constitue par conséquent un obstacle de poids. Toute la semaine, les Tricolores se persuadent qu’ils peuvent réaliser un exploit. « Nous avons tellement à nous faire pardonner que nous avons envie de mettre le feu » commente Philippe Sella, qui est dans les starting-blocks. Cependant, un voyant rouge s'allume : « Durban, nous avons un problème » Curieusement, la veille du match, une demi-douzaine de joueurs français tombent subitement malades. La nourriture, l’eau? Allez savoir! Le hasard? C'est plus difficile à croire. Mais même le ciel s'y met. Ce samedi matin de demi-finale, le ciel de Durban fait grise mine. A l’heure de la remise des maillots il tombe des gouttes. Pierre Berbizier, le coach en sursis, offre le champagne. C’est son anniversaire. Les joueurs trempent les lèvres dans leur coupe. Mais, pendant ce temps, au dessus de Durban, le ciel se déchaîne. Un déluge s’abat sur la ville. L’orage gronde. Le vent secoue les arbres du bord de mer. Cet imprévu change les données du rapport de force puisque le jeu va s'en trouver bouleversé. Faut-il modifier la composition de l’équipe de France à certains postes pour s’adapter à ces conditions atmosphériques si inattendues? 

Berbizier y songe mais n’ose pas. En arrivant au stade, Philippe Saint-André et sa bande sont préoccupés par ce rendez-vous manqué avec le beau soleil de l’océan indien, par ce ciel qui leur tombe sur la tête. La pelouse est inondée. On ne voit pratiquement pas les lignes qui délimitent le terrain. Dans ces conditions, est-il raisonnable de jouer un match injouable? La raison dit non. Mais les intérêts financiers commandent. Les télés, qui ont payé les droits, font pression. Les voyagistes, aussi qui ont vendu des packages - une demi-finale le samedi à Durban, une autre le dimanche au Cap - à 7000 supporters français arrivés le matin par avion. Et qui doivent repartir le soir même parce qu’il ne reste plus une chambre pour les accueillir à Durban. On ne peut pas reporter ce match. On ne peut pas l’annuler non plus. Car, dans ce cas, l’Afrique du Sud serait éliminée au goal average ainsi que le soulignera le capitaine français Philippe Saint-André dans ses mémoires. Monsieur Bevan, l’arbitre gallois, n’a pas le choix. Il faut que cette demi-finale ait lieu. La pression sur lui est à son comble. 

Reste à espérer une éclaircie. M. Bevan reporte le coup d’envoi de 40 minutes. Sur la pelouse du Kings Park, transformée en piscine, je vois apparaître un bataillon de femmes de ménage qui s’emploient à chasser l’eau avec des moyens dérisoires. Sont-elles zoulous? xhosas? Toujours est-il qu’elles sont noires. Jamais je n'ai vu autant de sud-africains de couleur sur une pelouse de stade de rugby, d'ordinaire sanctuaire des blancs.

Philippe Saint-André gagne le toss, ce pile ou face organisé par l'arbitre, et choisit de laisser les Springboks commencer le match avec le vent favorable. En rugby, le vent aide une équipe à avancer en allongeant la longueur des coups de pied de déplacement. Vouloir avancer tout de suite, ou plus tard, est donc un enjeu stratégique essentiel. Mais une deuxième fois le coup d’envoi est retardé. Il tombe sur Durban un ciel de fin du monde. Et en dépit des efforts des « femmes shadoks » pour pomper l’eau, la pelouse ressemble à une rizière. Les Bleus ne paraissent pas affectés par ce deuxième report. Ils sont prêts à jouer tout de suite. Ou plus tard. Pourvu qu’ils jouent. Une seule chose est acquise : en raison de la météo, leurs projets offensifs doivent être revus à la baisse. A 16 heures 30 enfin une accalmie ! C’est l’heure choisie par M. Bevan pour donner le coup d’envoi. Chaque placage provoque des geysers. C’est injouable, mais on joue quand même. En moins d’une demi-heure, les français sont menés 10-0, sur une pénalité de Stransky puis un essai en force de Kruger, poussé par son pack suite à un ballon gagné sur touche près de la ligne.

Le problème c'est qu'il s'agit d'un essai fantôme, ainsi qu'en témoigne Philippe Saint-André, photo à l’appui, dans son livre « Paroles de capitaines (Mango Editions). Même Kruger, quelque temps plus tard, avant de mourir d'un cancer du cerveau à 39 ans, reconnaîtra qu’il n’a pas aplati le ballon dans l'en-but, rappelle le capitaine du XV de France. La botte magique de Thierry Lacroix, meilleur réalisateur de cette Coupe du Monde, limite les dégâts:(6-10). Peu de coups de pieds au but se perdent dans ce match si particulier. Mais à cinq minutes de la fin du temps règlementaire, la France est toujours menée de quatre points. Deux essais viennent de lui être refusés alors qu'ils étaient valables aux yeux du capitaine des Tricolores, ulcéré. Le premier à Emile N’Tamack, qui marque après avoir récupéré un ballon en l’air. Le second à Fabien Galthié, qui pointe dans l’en-but après avoir chapardé un ballon aux Springboks sur une mêlée à cinq mètres de la ligne. Dans ces dernières minutes irrespirables et héroïques, voici une troisième occasion d’essai qui se présente. Abdelatif Benazzi, lancé comme un frelon, récupère une passe de Philippe Saint-André et fonce vers la ligne pour inscrire l'essai de la victoire. Mais, sur ses derniers appuis, il bute sur le pied de son capitaine en chutant avec le ballon à vingt centimètres de la ligne, soit la longueur d’une main? Ou sur la ligne? Sur la ligne il y aurait eu essai, puisqu'en rugby, elle fait partie de l'en but. Mais qui peut voir la ligne? Existe-t-elle encore à cet endroit ou la boue la recouvre-t-elle? Même la vidéo n'apporterait pas de réponse claire. De toute façon, le recours à la vidéo n’existe pas à cette époque. Et Monsieur Bevan passe pour être le meilleur arbitre du monde. Il ne peut donc pas se tromper quand il décide de refuser l’essai. Même si c’est le troisième essai qu’il refuse aux français. Mais cet essai refusé qualifie l’Afrique du Sud pour la finale conformément aux rêves d'un peuple, ce qui est compréhensible, et des organisateurs, ce qui l'est moins. Essai ou arnaque ? Personnellement je n'ai jamais réussi à avoir une opinion tranchée tellement les lignes étaient floues. Mais quand c'est flou, il y a un loup...

Il pleut toujours sur le Kings Park comme il pleut, maintenant dans le coeur des joueurs français, persuadés qu’ils sont les volés de l’histoire. En cet été 1995, la main d’Abdelatif Benazzi devient aussi célèbre que le nez de Cléopâtre. Cette histoire aggrave l’impression de malaise que génère la qualification assistée des Springboks pour la finale promise à Nelson Mandela. Ce malaise empire quand, à la réception d’après match, quelques heures plus tard, après l'essai refusé à Benazzi, le Président de la Fédération Sud-Africaine, Louis Luyt, offre une montre en or à l’arbitre. Ce cadeau fait jaser. D’autant qu’il n’est pas le seul. 

Quelques mois plus tard, j’apprendrai par des confrères que Derek Bevan a été invité à rester en vacances avec sa famille en Afrique du Sud pendant un mois après la finale. Bernard Lapasset, le Président de la FFR, assiste évidemment à ce samedi des dupes à Durban. J’attends au moins une protestation de sa part. Mais il ne bronche pas. Il est en course pour le titre de président de l’International Rugby Board. Les intérêts du rugby français ne sont plus sa priorité. Au lendemain de ce coup fourré, comme mes informations du début de la compétition le laissaient supposer, le contrat du sélectionneur Pierre Berbizier n’est pas renouvelé.

Je ne vous ai pas tout dit. La suite est plus véreuse encore. Je vous l'explique lors d'une prochaine visite;-)

Vous êtes abonné

par 
Pierre Salviac
Lancé il y a 2 ans

Vous devez être connecté pour écrire un commentaire

Se connecterCréer un compte
    © 2023 - Pierre Salviac
    ConfidentialitéConditions
    Partager – Écrire et partager avec votre communauté
    Publier sur Partager