Pierre Salviac
Pierre Salviac

22 août 2022

Munich 72: les Jeux pris en otage

J'ai vécu cette prise d'otages des athlètes israéliens. Je vous raconte...

En 1972 les Jeux Olympiques de Munich ont baigné dans le sang suite à une prise d'otage d'athlètes israeliens. Je vous raconte ce cauchemar.

J'ai une manie. Je garde tout. Sur le long chemin de 50 ans de carrière j'ai besoin de repères. Comme des petits petits cailloux posés pour geler des souvenirs. J'ai ainsi sous les yeux un télégramme de félicitations signé Jacques Sallebert. En cette année 72 il est une pointure de l'ORTF. Je partage avec Thierry Roland, Bernard Père, Jean Paul Brouchon et Emile Toulouse l'honneur de ce compliment venu d'un maître de la profession. Pourquoi ce télégramme  ? Il félicite le bon travail de l'équipe des envoyés spéciaux de France Inter lors de la prise d'otages au village olympique de Munich. Des félicitations ? On a souvent parlé pour ne rien dire faute d'informations. Et on a raté le catastrophique dénouement.

Il est 6h 30 en ce petit matin du 5 septembre 1972 à Munich quand la sonnerie du téléphone me réveille. Au bout du fil la rédaction en chef de France Inter à Paris. Et une voix qui m'annonce  : «  des athlètes israéliens sont pris en otage dans leur appartement du village olympique par un commando armé palestinien. Il nous faut un papier pour le journal de 8 heures coco.  A toute suite  !  » En ces temps-là les réseaux sociaux n'existent pas. Aux premières heures d'un événement qui fait l'ouverture des journaux parlés l'envoyé spécial est comme un ermite sur son île. Il est à court d'infos. Son premier papier est souvent une mise en bouche issue des dernières dépêches de l'AFP lues de Paris quelques minutes avant par le confrère de permanence au desk. C'est ce qui se passe au matin de ce jour en septembre qui s'annonce interminable.


A 7 heures, un des terroristes apparaît à la fenêtre au premier étage de l’immeuble localisé Conolly Strasse. Il porte un pull over rouge et un pantalon beige. Par son intermédiaire les Palestiniens font savoir qu’il ne veulent qu’un interlocuteur devant le bâtiment: une hôtesse. Elle sera utilisée pour transmettre leurs conditions. Ils revendiquent leur appartenance à l’organisation Septembre Noir.

C'est l'époque où l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a recours à des actions spectaculaires (attentats, détournements d'avion) pour imposer la cause palestinienne sur la scène internationale. Je connais les grandes lignes du dossier mais des faits précis sont déjà partis de ma mémoire. Par exemple je suis obligé de plonger dans les archives pour me souvenir comment est né Septembre Noir, l'organisation dont se revendiquent les preneurs d'otages : « C'est le nom qu'un groupe armé palestinien s'est donné à la suite des événements de septembre 1970. Les membres de Septembre Noir avaient assassiné le premier ministre jordanien Wasabi Tall qui avait ordonné l'écrasement de la résistance palestinienne présente en Jordanie.»

Je réalise que je suis le témoin d'un événement qui n’est plus sportif mais politique de première importance. Il est en train de tenir en haleine 500 millions de téléspectateurs dans le monde et d’embarrasser nombre d’Ambassades. J'entends bien les appels répétés de Paris pour alimenter le fil info. Mais, comme tous mes confrères, pour l’instant je n'ai que les communiqués officiels à rapporter. Cette situation est insupportable pour un envoyé spécial. Il est au plus proche des acteurs, il est à portée de kalachnikov des preneurs d'otages, et au début du drame qui se joue il n’a rien à dire parce faute d’infos dans les premières heures.

Les journalistes assis, comme j'appelle les présentateurs des journaux parlés, n'en finissent pas de poser des questions auxquelles les professionnels sur le terrain, que j'appelle les journalistes debout, n’ont pas de réponse. «  Le journalisme consiste pour une large part à dire «  Lord Jones est mort  » a des gens qui n'ont jamais su que Lord Jones existait  » dit Gilbert Keith Chesterton dans la sagesse du père Brown. Je n'ai aucune raison de connaître un des athlètes dont je viens d'annoncer la mort aux premières heures de l'irruption des terroristes. Les athlètes de cette délégation n'ont pas de notoriété mondiale et leur niveau ne fait pas d'eux des potentiels médaillés mais j'ai le devoir de dire aux auditeurs qu'ils sont morts et que la vie de leurs anonymes équipiers est gravement menacée. D'où l'obligation d'une quête obsessionnelle de renseignements pour informer.

Le métier de grand reporter est un métier d'individualistes. L'obsession est d'avoir la meilleure information et de la transmettre avant les autres. C'est la chasse au scoop. Mais dans ces moments là s'instaure spontanément une coopérative du renseignements. Les journalistes s'organisent en pool. La salle de presse devient un lieu d'échange. C'est un pour tous tous pour un. Je me rapproche des américains en me disant que tout ce qui touche Israel les concerne. Et qu'ils doivent être les mieux informés sur les négociations en cours.

Le commando palestinien est présenté comme très déterminé. Et bien entraîné. A 9 heures il jette une une lettre par la fenêtre. Sur celle-ci figure une liste de 232 prisonniers en Israel et en Allemagne dont les noms sont dactylographiés à l’aide d’une vieille Remington. En plus de la libération de ces prisonniers en Israel et en Allemagne les preneurs d'otages demandent qu’un appareil soit mis à leur disposition pour quitter l’Allemagne à destination d’un pays arabe, à l’exception de la Palestine et du Liban. L’ultimatum est adressé au gouvernement d’Israel. Il expire à midi.

Toute l'équipe de France Inter est mobilisée sur cette affaire qui interpelle le monde. Pourtant les compétitions ne sont pas interrompues malgré les appels à l'arrêt des Jeux. C'est ainsi qu'à proximité du lieu où la vie de neuf athlètes israéliens est en danger on continue de jouer au volley comme si de rien n'était. Pendant ces heures interminables, où la vie de leurs camarades israéliens est en jeu, je déplore de constater que dans le Village la plupart des athlètes sont étrangers à la tragédie qui fait passer au second rang les Jeux Olympiques. On les voit jouer au boules ou au golf miniature. La rumeur rapporte même qu’un entraîneur aurait déclaré: « Cette histoire, c’est mauvais pour la concentration ». Une autre rumeur, pire encore: un sauteur uruguayin aurait vu le chef du commando dans le village avec un gros calibre en main sans avoir alerté la police. Il me revient même que lui et ses équipiers auraient refusé l’asile aux Israéliens en fuite. Je découvre, ahuri, qu’isolés dans leur bulle les sélectionnés olympiques ne pensent plus que compétition, victoire, médaille. Je comprends le rêve d'une vie. Je ne comprends pas que le cauchemar ne les réveille pas en sursaut.

Dans un autre article je décrirai l'affreux compte à rebours de cette prise d'otage qui a endeuillé les Jeux Olympique de Munich. Merci de revenir me visiter. A bientôt;-)

Vous êtes abonné

par 
Pierre Salviac
Lancé il y a 2 ans

Vous devez être connecté pour écrire un commentaire

Se connecterCréer un compte
    © 2023 - Pierre Salviac
    ConfidentialitéConditions
    Partager – Écrire et partager avec votre communauté
    Publier sur Partager