Pierre Salviac
Pierre Salviac

27 août 2022

APOLLO XIII: objectif...Terre...

Je vous fais revivre l'histoire d'un rdv manqué avec la lune

Salut les amis. Je vous raconte mon histoire vécue d'un sauvetage historique

Dans ma collection de souvenirs liés à ma carrière, il est en bonne place, ce double album 33 tours intitulé « Radio Terre, toute l’épopée lunaire ». Un album reconstitué grâce aux archives sonores de France Inter. Le disque numéro 2 est consacré à l’extraordinaire mésaventure du vol Apollo XIII. Sur la page de couverture, on peut lire: « Envoyés spéciaux Jean Claude Heberle, Jean-Claude Bourret, Pierre Salviac. » Parfois, l’ordre alphabétique fait bien les choses. Je suis le troisième dans l’ordre d’apparition sur le générique: c’est ma place au regard de mon expertise sur le sujet. Troisième mais j’y suis. J’en suis fier.

En ce mois d'avril 1970, je suis l’envoyé spécial permanent de France Inter à Washington. Dans les journaux parlés, je renvoie surtout l’écho de l’Amérique à l’heure de la guerre du Vietnam. Il m’arrive aussi de rapporter des crimes crapuleux comme celui qui provoque la mort de Sharon Tate, femme du réalisateur Roman Polanski, assassiné/e par Charles Manson, gourou d’une secte à la dérive dans la région de Los Angeles. Résident dans la capitale des Etats Unis je réalise un rêve de gosse. De l' appartement au bureau je passe tous les jours devant la Maison Blanche. Accrédité en qualité de correspondant étranger j'y ai mes entrées. Comme au Sénat où je me dirige de temps en temps pour rendre visite au sénateur Bob Kennedy que mon anglais scolaire amuse. Quand Jean Claude Héberlé quitte le poste de correspondant de la radio pour devenir le correspondant de la deuxième chaîne qui vient d'ouvrir un bureau, la place laissée vacante m'est proposée. Mes bons reportages en Irlande du Nord ont convaincu Jacqueline Beaudrier, la patronne de la rédaction, que je peux faire l'affaire

J'ai 24 ans, je suis en CDD après avoir été longtemps Pigiste. En acceptant le poste je renonce au CDI qui m'est promis pour la fin de l'année. Et je signe un contrat de correspondant recruté à l'étranger. Ce contrat signifie : pas de déménagement pris en charge par l'employeur. Seulement deux voyages payés, le mien et celui de Marie Geneviève que je viens d'épouser. Je sais que c'est une belle arnaque. Je devrais refuser. Mais je sais aussi que les trains ne passent pas deux fois. Alors j'opte pour cet exil dans l'Amérique qui me fascine moi qui vénère James Dean, Elvis Presley et John Steinbeck.

Quand, en 1969, je m'installe à Washington c'est dans un pays usé par sa guerre au Viet Nam que je découvre. La doctrine de Guam, qui réduit l'engagement américain mais engendre la Vietnamisation de la guerre voulue par le Président Nixon, ne réussit pas à sortir l'administration républicaine du bourbier. Dans les journaux de France-Inter je traduis quotidiennement le ras de bol d'une Amérique réclamant avec de plus en plus d'insistance le retour de ses boys. Je rends compte des moratoires contre la guerre et des marches de protestation de plus en plus fréquente autour de la Maison Blanche. C'est dans ce contexte que j'interviewe Jane Fonda, la passionara et que j'approche Joan Baez, mon idole.

« Le chagrin de la guerre », touchant roman de Bao Ninh, n'est encore qu'un vague projet dans l'esprit ce talentueux écrivain vietnamien, mais tous les jours je lis ce chagrin de la guerre dans le regard des vétérans mutilés qui défilent en tête des cortèges. Je vois ce chagrin dans les yeux des parents qui ont perdu leur fils. Soit au combat dans les rizières, soit en exil au Canada pour échapper à la conscription.

Quand Paris m’annonce que je vais faire équipe avec Jean-Claude Bourret, envoyé de Paris, pour couvrir le vol Apollo XIII, je suis aux anges. Mais contrairement à mon confrère, qui baigne dans la conquête spatiale, ma connaissance de ce dossier est superficielle. Je suis contraint de m’imposer une formation accélérée s’agissant de tout ce qui touche au mode d’emploi d’un vol Apollo. Pour ne pas confondre module de service et module lunaire, aussi appelé « LM » (Lunar Module). Pour ne pas tout mélanger au nom du principe selon lequel « ce n’est pas la queue qui remue le chien ».

Avant de prendre l’antenne, je vérifie mes antisèches. Apollo est un ensemble formé par les modules de service, le lieu de vie, et de commande, le poste de pilotage. D’une longueur de 11 mètres pour un diamètre de 3,9 mètres, il pèse 28 881 tonnes. Il est séparé par l’adaptateur en forme de tronc dans lequel est enfermé le module lunaire avec ses pattes repliées. Le module lunaire est le vaisseau qui doit se désolidariser de l’ensemble pour aller poser les astronautes sur la Lune.

En nous installant devant nos pupitres de presse à Cap Kennedy (Floride) (2), nous nous répartissons les rôles. Jean-Claude Bourret doit assurer les interventions dans les journaux parlés. J’interviendrai dans les flashes. Cette mission Apollo XIII relève de la routine pour les experts en affaires spatiales qui m’entourent. Elle semble tellement bien rodée que même les Américains commencent à se désintéresser de ce genre d’odyssée. Le troisième débarquement programmé des hommes sur la Lune est classé « Affaires courantes » par les enfants de McDo et de Coca-Cola. Tout a été tellement parfait jusque-là. D’Apollo 8, qui nous a fait découvrir la Lune sans la toucher, à Apollo XII, l’impeccable mission, en passant par l’historique Apollo XI: l’apothéose. Le premier pas de l’homme sur la Lune.

Le trio d’astronautes choisi par la NASA (3) est loin d’être homogène. Fred Haise et Jack Swigert sont des bleus. Ce dernier remplace à la dernière minute Ken Mattingly, contraint et forcé de rester sur Terre : on craint de le voir développer une rubéole pendant le vol. Le seul astronaute vraiment expérimenté est James Lovell, dit Jim Lovell, le commandant de bord, un vétéran de la guerre de Corée. Il totalise 600 heures dans l’espace/ au fil de . Il est engagé dans douze missions préparatoires au programme lunaire, dont le vol Apollo 8. Un vol pendant lequel les astronautes avaient passé Noël de l’autre côté de l’orbite terrestre pour s’en aller tutoyer la Lune. À bord de la capsule Gemini, il détient le record de durée dans l’espace : quatorze jours.

11 avril 1970. Cap Kennedy. Temps calme, ciel clair. La fusée Saturne V ouvre sa porte à ses trois passagers. Cette fusée colossale a déjà propulsé six missions Apollo. C’est un monstre de 110 mètres de hauteur. La taille de l’arche de la Défense à Paris. C’est la plus grosse fusée jamais construite par l’homme. Elle a été acheminée sur le pas de tir à l’horizontale mais c’est à la verticale qu’elle s’apprête à trouer le ciel. « Impressionnant édifice, Saturne V est maintenue nez en l’air grâce à un corset d’acier style tour Eiffel, les jambes serrées », constate 40 ans plus tard mon excellent confrère Fabrice Drouelle dans son émission « Affaires sensibles », diffusée sur France Inter.

Cap Kennedy, 11 avril 1970, 13h13. Apollo XIII décolle. La fusée Saturne V s’arrache du sol, offrant le spectacle inouï d’un colosse aimanté par la Lune. 6200 tonnes de poussée. Brûlant 2 000 litres de Propergol en deux minutes, soit plusieurs milliers de litres de carburant, mélange d’oxygène et d’hydrogène liquide. Les vibrations qu’elle produit font trembler le sol 80 kilomètres à la ronde. Le bruit est assourdissant. Jamais une fusée n’a généré autant de décibels. Quand Saturne V quitte le pas de tir, c’est un spectacle de fin du monde que je décris aux auditeurs de France Inter. Par le hublot, les astronautes voient-ils que dans sa flatteuse érection, la fusée qui les propulse a le feu aux fesses ? Voient-ils, comme moi, ces flammes de 500 mètres de hauteur s’échappant de son train, témoignant de l’allumage des dix-huit moteurs du monstre ?

De mon pupitre de commentateur, je ne manque rien de ce spectacle à nul autre pareil. Je me laisse gagner par l’irrésistible impression que ce vol est parti pour un voyage sans histoires. Je réécoute mon intervention sur France Inter à ce moment du lancement : « Ici, à Cap Kennedy c’est le sourire, un sourire large comme un croissant de lune car pour l’instant, tout se passe comme prévu. La mission se déroule sans problèmes, fidèle au plan de vol que j’ai sous les yeux. » Dans l’euphorie de ce départ canon, j’oublie cette mise en garde du commandant de bord Jim Lovell, entendue quelques jours plus tôt à la télé : « Il faut être super entraîné pour gérer les urgences. L’entraînement, c’est notre police d’assurance. »

Apollo XIII quitte l’orbite terrestre et se dirige vers sa cible. Mardi14 avril, 2h 54, Jim Lovell et Fred Haise font une inspection d’Aquarius, le module de service, conformément aux consignes de la « check list ». Jean-Claude Bourret et moi arrivons à Houston, centre spatial de la NASA, d’où nous devons commenter la suite du programme Apollo XIII. Le plan de vol suit son cours. L’ensemble module de commande Odyssée, son module de service et le module lunaire Aquarius se détachent du troisième étage de la fusée Saturne. Le dernier message de Lovell à la Terre est : « Chaque mission est une partie de dés. Nous terminons l’inspection d’Aquarius puis nous passerons une agréable soirée sur Odyssée. Bonne nuit. »

Pour les envoyés spéciaux de France Inter aussi, la nuit doit être bonne. Dans mon dernier papier, faute d'éléments plus intéressant j'ai versé dans le people. Les astronautes sont-ils superstitieux ? La petite histoire rapporte une remarque de la femme de Jim Lowell s'inquiétant du chiffre 13 retenu pour identifier cette mission. Réponse du héros de mari : « un pilote n’est pas superstitieux ». Une coupure de presse me le rappelle : il est si peu concerné par ce type de problème qu’il désirait prendre un chat noir comme mascotte.

Puisqu’après cet avertissement sans frais, nous sommes entrés dans la routine du vol, tous les acteurs, journalistes compris, baignent dans un climat de confiance. À peine arrivés à l’aéroport de Houston, nous décidons d’aller manger un homard. Dans cette ville, les restaurants qui proposent des homards que de chapeaux texans. Nous donc avons l’embarras du choix. Sage précaution de journaliste, l’autoradio est branché sur le chemin qui nous mène vers la pause restaurant. Heureusement car soudain une voix que nous identifions comme celle de Jim Lovell nous parvient : « Houston, we have a problem… »

La suite je vous la raconte dans un prochain article. En rendant compte de cette Odyssée minute par minute Jean Claude Bourret et moi nous avons inventé sans la vouloir "l'info en continu".

Dans l'attente de votre prochaine visite. Si l'article vous a intéressé ne manquez pas de diriger vos amis vers ma publication "Mémoires d'un Grand Reporter". A la revoyure;-)


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par 
Pierre Salviac
Lancé il y a 2 ans

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  1. André
    J'ai hâte de lire la suite. Votre histoire vécue sur place est d'autant plus intriguante que vous la ponctuez de faits divers (le homard) qui nous font revivre ce voyage avec vous. Merci Pierre Salviac !
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