23 mai 2023 • 8 minutes de lecture
Il était toujours là mais ça faisait des années qu’on n’en entendait plus vraiment parler : Playboy ! Coup de projecteur sur un vieux magazine de charme qui semble reprendre du poil de la bête et qui n’en est peut-être qu’au début de sa résurrection.
Si je vous dis Playboy, il est fort probable que cela vous évoque deux choses : ou un passé déjà passablement lointain, ou un souvenir au contraire très récent, celui du buzz suscité depuis quelques semaines par la une du dernier numéro, consacré à Marlène Schiappa. Entre deux, rien ou presque. A croire que la plupart d’entre nous avions complètement oublié, avant cette polémique, que le célèbre magazine aux oreilles de lapin existait toujours, qu’il avait toujours une succursale française et qu’il était encore aujourd’hui – à l’heure où le sexy semblait être passé avec armes et bagages sur le net – disponible dans tous les kiosques. Moi-même je n’y avais repensé qu’il y a quelques mois, durant l’hiver dernier, lorsque Simon Wauquiez (alias Simon Collin), qui n’avait pas encore été nommé rédacteur-en-chef du titre, m’avait suggéré : « Tu devrais jeter un œil sur la mouture actuelle de Playboy, il y a des trucs intéressants. »
Un peu réac peut-être ?
Et en effet, il y avait quelques bons papiers dans le premier numéro que j’ai acheté (le onzième de la nouvelle formule) : un entretien avec le romancier Simon Liberati, un autre avec le médecin Frédéric Saldmann, un papier sur Louis de Funès, un article sur les romans policiers français et un beau reportage photographique sur l’urbex. Les cahiers photographiques valaient le détour, oscillant entre le classieux et le plus grunge, avec une vraie diversité des modèles et des types de prises de vue. Et avec tout ça un petit côté vintage pas désagréable grâce aux grands dessins pleine page à l’humour un peu suranné (ceux de Kiraz notamment) et à quelques textes d’archives comme celui de Geneviève Dormann tirant à boulets rouges sur le féminisme de son temps. « Méfiez-vous de celui qui se dit féministe, écrivait-elle. Ou c’est un lâche qui a compris l’avantage qu’il pouvait en tirer, ou c’est un tordu honteux de ses penchants féminins et qui s’offre le luxe de les satisfaire sous couvert d’humanité… Il va enfin pouvoir langer, tricoter et se déguiser en femme sans risquer un ridicule qui lui fait peur. » Inutile d’aller vérifier : ça n’a pas été écrit en 2023 !
Car s’il y a en effet quelque chose qui frappe au premier abord quand on feuillette Playboy, c’est ce côté assez « politiquement incorrect », optant de préférence pour un franc-parler parfois assez leste à mille lieues de la tiédeur bien-pensante qui anime la ligne éditoriale de la plupart des grands titres de presse. Vous me direz que c’est normal, qu’on peut difficilement prétendre faire dans l’érotisme si on reste confiné dans un cadre intellectuellement puritain – certes ! Mais le moins qu’on puisse dire, quand on ouvre le numéro suivant du magazine (le douzième), c’est que le progressisme ou le féminisme ne sont pas forcément les tendances dominantes puisqu’on y trouve à la fois un papier sur Madame Claude, un grand entretien avec Gilbert Collard ou une tribune d’Ivan Rioufol qui n’y va pas de main morte :
« Dans Toutes réflexions faites, Sacha Guitry écrit : “Je conviendrai bien volontiers que les femmes nous sont supérieures, si cela pouvait les dissuader de se prétendre nos égales.” Cependant, qui oserait aujourd’hui s’aventurer sur cette pente ? Un Guitry contemporain se ferait émasculer et traiter de misogyne par les diablesses du paritarisme : trop “patriarcal” pour les wokettes à col claudine. Le gentilhomme qui offrirait son manteau pour couvrir les épaules d’une femme afin de la protéger du froid de la rue risquerait d’être soupçonné de harcèlement sexiste et de pensées rustres par des harpies en embuscade. Les furies de l’agora n’aiment que les eunuques, les contrits, les soumis. Pour elles, l’homme est un prédateur en liberté, un violeur en puissance. S’il s’efface pour laisser passer une femme, c’est pour lorgner son cul. Caroline de Haas a dit : “Un homme sur deux ou trois est un agresseur.” De deux choses l’une : ou l’homme se couche devant ses castratrices, ou il les envoie paître. Je suis partisan de la seconde solution. »
De Marlène Schiappa à Marc-Edouard Nabe
Pour ce qui est du féminisme (car tout de même il en faut), on se reportera à l’entretien richement illustré accordé au magazine par Marlène Schiappa, qui nous donne sa vision de la cause : « Pour moi le féminisme c’est trouver intolérable pour les filles des autres ce qu’on trouve intolérable pour nos propres filles. C’est pourquoi il est absolument fondamental de défendre des droits universels et de ne pas sombrer dans le relativisme. Le relativisme, c’est ce courant philosophique et anthropologique qui consiste à dire qu’au regard d’une coutume un fait devient acceptable s’il est coutumier. Moi je suis tout à fait opposée à ça. » Un point de vue discutable mais qui a au moins le mérite de trancher avec les indignations à géométrie variable d’une certaine gauche aussi prompte à taper sur le mâle blanc pour un mot de travers qu’à détourner pudiquement le regard lorsque des violences objectivement sexistes sont commises par des hommes d’origine extra-européenne – rappelez-vous les agressions de Cologne…
La Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire et de la Vie associative (c’est le nom complet de sa fonction !) confie qu’elle « préfère les hommes construits aux hommes déconstruits » et pose dans divers costumes très tape-à-l’œil, dont la plupart évoquent un certain folklore républicain, tout en froufrous et en cocardes, ou, sur un mode plus hiératique, revisitent une pose à la Marianne. « Les critiques les plus virulentes que j’ai eues dans ma vie publique ne sont pas venues d’hommes mais sont toujours venues de femmes, et je le déplore » explique-t-elle. Pas sûr que ça s’arrange avec cette une de Playboy !
Autre entretien, autre ton : Marc-Edouard Nabe. Il y parle de son exil, de la mort de son père, du temps qui passe, de l’âge qui avance, de la perspective irrémédiable de la mort et, peut-être plus grave encore, de la débandaison. Le temps de la sagesse et du renoncement semble encore toutefois bien loin pour l’écrivain puisqu’il n’a rien perdu de sa rage, dégommant à tour de bras ses rivaux : Frédéric Beigbeder, Annie Ernaux, Yann Moix, et bien sûr Houellebecq, pour lequel il ne mâche pas ses mots : « Il ressemble à une huître qui, au lieu d’être dans sa coquille, se retrouve dans une capuche de parka, c’est ça la gueule de Houellebecq aujourd’hui ! » Il est aussi beaucoup question de libertinage, l’entretien étant illustré de photos de l’auteur en bonne compagnie dans le bar à fantasmes Sweet Paradise tenu par Flore Cherry. Ça ne vous dit rien ? Je vous avais parlé, dans ma rubrique « Curiosa Erotica » de l’avant-dernier numéro d’Éléments, d’elle et de son dernier roman Matriarchie.
Mais revenons à Nabe. Si sa verve énervée m’amuse, ses déclarations sur la Suisse ont plutôt tendance à m’agacer tant elles coïncident peu avec la réalité de mon cher pays. Comme le journaliste lui demande pourquoi il a quitté Paris pour s’exiler à Lausanne puis au Tessin, il répond : « Si je suis parti en Suisse, c’est pour travailler, d’abord, tranquillement. Première raison ! Parce qu’il y avait trop d’agitation à Paris. » Pour ça c’est bien vrai, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai moi-même quitté la ville pour m’installer à la campagne. Mais il ajoute : « Le seul hic suisse, c’est qu’il ne se passe rien dans ce pays, c’est mort. Alors quand je veux un peu de fun, un peu de baise, un peu d’animation, un peu de vie, eh bien, il suffit de prendre le train ou l’avion, et je reviens quelques jours à Paris pour le sexe. » Allons Marc-Edouard ! En matière de sexe la Suisse est, comme tous les autres pays du vaste monde, une auberge espagnole : on n’y trouve jamais que ce qu’on y amène ! Cette phrase en dit, il me semble, davantage sur l’auteur des Porcs que sur mon pays – dans lequel je n’ai pour ma part jamais eu le temps de m’ennuyer. En attendant, Nabe aura réussi en quelques années à s’exprimer tout à la fois dans les colonnes de Playboy et du magazine officiel de l’État islamique : faut le faire !
« Une propagande mammaire assez louche… »
On trouve également dans ce numéro un article sur l’histoire des radios-pirates, un vieil entretien très vivant avec Serge Gainsbourg, un essai comparatif sur le traitement littéraire de la masturbation chez Catherine Millet et Michel Houellebecq et un papier tout à fait curieux sur Jawad Bendaoud, le fameux « logeur » de l’affaire des terroristes islamistes du 13 novembre 2015. L’auteur, David Vesper, dont on comprend difficilement ce qui peut tant le fasciner dans ce personnage instable et au fond assez inconsistant, parvient à construire, à partir de presque rien, un récit qui se lit comme un roman policier – alors qu’il ne s’y passe pourtant pas grand-chose ! Bel exercice de style. On notera aussi quelques brèves tribunes confiées à diverses personnalités se remémorant leur découverte de Playboy et les souvenirs marquants liés à leur expérience du magazine de charme, comme Nicolas d’Estienne d’Orves se souvenant du scandale Pierrette Le Pen (l’ex-femme du président du Front national avait posé en couverture dans une tenue d’accorte soubrette pour faire enrager son ex-mari) ou l’écrivain américain Steven Sampson s’interrogeant sur la préférence accordée aux poitrines des femmes sur leurs autres attributs par Hugh Hefner, le fondateur du titre. « Le nichon serait-il plus sublime que la vulve ? s’interroge-t-il. Ce fut le parti pris de Hef [Hugh Hefner], défendu tenacement même après l’arrivée de Penthouse, dont les photos dirigeaient le regard vers le bassin, en dévoilant le secret de Polichinelle. Hef pariait sur la diversion, la mise en valeur des mamelles massives, voire monstrueuses, pour amener son lecteur à oublier l’essentiel. A onze ans déjà, je trouvais sa propagande mammaire assez louche, je plaignais ces filles frêles, accablées par le poids de leurs gros tambours bongo, ces femmes-cocotiers oscillant à cause d’une surcharge de fruit. »
Puisqu’on parle de gros tambours et de surcharge de fruits, Simon Wauquiez m’envoyait l’autre jour sur mon Whatsapp une photo qu’il avait pris la veille chez Castel en compagnie d’une femme qui, en la matière, n’en manquait pas : Afida Turner. Vous connaissez ? Très peu pour ma part, mais je me souviens d’un article de mon copain Raphaël Pomey qui en parlait il y a quelques mois. Simon me raconte que la photo a été prise lors d’une soirée de Playboy, que des manifestants très remontés contre Marlène Schiappa bloquaient l’entrée de la boite pour protester contre cette grossière tentative de noyer le poisson opérée par la Ministre à la suite des affaires d’argent louches dans lesquelles elle est impliquée actuellement (difficile de leur donner tort sur ce point !) mais qu’ils avaient tout de même laissé passer Afida Turner, considérant que c’était « une fille du peuple »… Il a bon dos le peuple !
En tout cas, chez Éléments, une fois de plus on aura eu le nez fin en repérant Simon Wauquiez à l’époque de notre dossier sur les « 36 YouTubeurs dissidents ». Avec les nouvelles fonctions qu’il occupe chez Playboy, on peut espérer que le célèbre magazine lapinesque poursuive sa résurrection et nous gratifie, comme il semble en avoir pris le cap depuis un ou deux numéros, d’un contenu de qualité proposant à la fois des cahiers photographiques agréables à regarder et des articles et entretiens de fond faisant la part belle aux beaux-arts, à la littérature et à la politique. En attendant, vous pourrez découvrir le portrait écrit que j’ai réalisé de Simon Wauquiez dans le dernier numéro d’Éléments, disponible en kiosque depuis aujourd’hui.
Que vous lisiez Éléments ou Playboy – et pourquoi pas les deux ? – je vous souhaite une bonne lecture !
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