David L'Epée
David L'Epée

4 octobre 2023 9 minutes de lecture

Les flics de la pensée ne désarment jamais

« Faire face aux flics de la pensée » : tel était le titre de la table ronde que j’animais samedi à Paris. En rentrant chez moi le lendemain je découvre que la Suisse n’a rien à envier à la France en matière de répression de la liberté d’expression…

Le colloque des 50 ans de la revue Éléments que je vous annonçais il y a quelques jours a été une réussite. La salle était comble, les interventions se sont succédé sans discontinuer de 14h00 à presque 20h00 et la journée s’est terminée par un apéritif dînatoire qui a réuni de nombreux lecteurs et soutiens de la revue et nous a permis, à mes collègues et à moi-même, de passer un moment agréable avec quelques-uns de ces femmes et de ces hommes aussi fidèles que discrets qui nous lisent parfois depuis des décennies et nous permettent d’écrire et d’exister. Merci à vous tous !

Vous pouvez lire ici l’article que le magazine Causeur a consacré à notre colloque

Comme vous le saviez j’animais une table ronde intitulée De la pensée unique au wokisme : faire face aux flics de la pensée, où j’ai donné la parole à l’écrivain Jean-Paul Brighelli et au député Roger Chudeau, qui a fondé récemment une Association des parlementaires contre le wokisme afin d’opposer au lobbying des partis du système sur la question une résistance au sein même des assemblées. La vidéo sera bientôt en ligne, je la partagerai ici. La présence à cette table ronde d’un élu RN n’a pas manqué de faire tiquer les trois Pieds Nickelés de Libération (ceux avec lesquels je suis en procès, vous l’avez compris) qui ont écrit ceci mardi dans leur newsletter :

Nos plumitifs ironisent sur le qualificatif de « terrorisme intellectuel » tout en se vantant eux-mêmes d’avoir réussi à faire céder le RN à leur chantage à l’antisémitisme imaginaire, poussant le parti à m’ostraciser de son colloque à la suite d’un article pour lequel, je le rappelle, nous sommes en procès. Il faut le faire !

Quelques jours auparavant, les mêmes petits flics (qui viennent de monter en grade à Libé, journal qui semble récompenser les fautes professionnelles graves par des promotions – chacun sa déontologie) commettaient un autre article, consacré au RN cette fois, où on pouvait lire ceci :

Vous connaissez la méthode de ce type d’articles : méduser le lecteur par un effet d’accumulation de noms et de mots-clés censément effrayants, en espérant que ces mots déteignent sur la réputation des personnes mentionnées dans le fil de la phrase, même si ces personnes n’ont aucun rapport avec tout ça. Avec l’antisémitisme ou l’homophobie ça marche toujours très bien, alors pourquoi s’en priver ?

Je ne vous cache pas que je me méfie par principe des politiciens (autant que des journalistes d’ailleurs) et qu’aucun parti ne trouve grâce à mes yeux, même si certains sont un peu « moins pires » que les autres. Je suis content d’avoir fait la connaissance de M. Chudeau, je lui souhaite bonne chance dans son combat et j’espère que le RN aura compris le message : nous à Éléments, quand on débat du wokisme, on ne « désinvite » pas d’éventuels interlocuteurs du parti de Jordan Bardella… Puisse, une prochaine fois, la réciproque être vraie : à bon entendeur !

De retour dans ma chère patrie je me dis que ces tendances inquisitoriales sont tout de même moins marquées ici qu’en France et qu’à tout prendre on respire un peu mieux sous nos latitudes, où il demeure – malgré le wokisme ambiant chez les élites – une certaine liberté d’expression. Erreur !

Voilà ce qu’on pouvait lire ce mardi matin sur les manchettes de la presse de l’Arc lémanique :

Vous imaginez bien que vu les procès en sorcellerie que me font les petits flics de Libération et dont attestent une nouvelle fois les coupures de presse que je viens de reproduire ci-dessus, Soral est sans doute la dernière personne dont j’ai envie de vous parler ici. Il ne vous aura en effet pas échappé qu’en dépit des amalgames grossièrement entretenus par certains de nos ennemis communs, nous ne sommes pas exactement en bons termes (c’est peu de le dire) ni n’avons les mêmes idées et que ça fait une bonne dizaine d’années que le peu de rapports que nous avons sont exécrables. Non sans raison d’ailleurs. Mais bon, qu’importent ce que peuvent croire (ou feignent de croire) les inquisiteurs, revenons au réel.

Le réel, quel est-il ? Qu’Alain Soral est condamné en Suisse, où il réside actuellement, à une peine de prison ferme suite à la plainte d’une journaliste de La Tribune de Genève qu’il a traitée dans une vidéo en ligne de « grosse lesbienne » dans le cadre d’une sorte de dispute entre eux deux. Alors bon c’est tout sauf élégant et on n’en sera pas étonné outre mesure connaissant la finesse du personnage mais enfin, jusqu’à peu la grossièreté n’avait pas un caractère délictueux et on a peine à voir dans ces deux petits mots où réside le crime qui pourrait envoyer son auteur en prison.

Une épithète peu amène, certes, mais pas infamante pour autant : en effet il est de notoriété publique que cette journaliste est effectivement lesbienne (elle n’en fait pas mystère) et il faut bien admettre qu’elle n’a pas tout à fait une taille de guêpe. C’est peut-être indélicat de le mentionner mais ce n’est ni mensonger ni calomnieux. Le réel, donc, c’est qu’on peut aujourd’hui en Suisse croupir derrière les barreaux pour une simple insulte, et face à ce réel, il me semble que mon antipathie ou mes désaccords à l’égard de l’individu Soral n’ont pas à interférer dans mon appréciation : il fait en l’état les frais d’une loi liberticide qui ne devrait absolument pas avoir sa place dans une démocratie digne de ce nom.

Cette loi, quelle est-elle ? Proposée au vote en février 2020, cette extension d’un article déjà existant du Code pénal suisse (l’article 261 bis) punissant initialement les appels à la haine ou à la discrimination raciales proposait d’étendre cette disposition à l’encontre de tout propos portant atteinte à l’orientation sexuelle de quelqu’un. Un terrain juridique pour le moins glissant qui laisse la porte ouverte à tous les abus répressifs, comme on l’imagine et comme ce nouveau cas nous le confirme.

Ironie de l’histoire : le jour où cette loi a été votée je recevais chez moi (j’habitais alors Neuchâtel) mon ami Vincent Lapierre, du Média pour tous, qui venait passer le week-end en Suisse pour réaliser un reportage sur la démocratie directe. Profitant de ce scrutin il s’était rendu dans un bureau de vote du Locle pour assister au dépouillement des bulletins de vote. Je me souviens que la veille nous étions allés manger dans une bonne brasserie de la ville, je lui avais expliqué pourquoi je m’apprêtais pour ma part à voter contre cette loi en avançant qu’elle serait rapidement utilisée par certaines associations et certains groupes d’intérêts comme une loi-muselière pour faire taire les voix discordantes. Nous avions évoqué le cas des écrivains, des humoristes, des médias indépendants, et de tous les libres penseurs qui auraient à faire les frais d’une loi qui n’était que l’application dans le droit helvétique de la fameuse cancel culture chère aux activistes woke.

Nous n’avions pas pensé alors au cas d’Alain Soral (qui avait déjà suffisamment affaire avec la justice française) mais il n’est évidemment pas tout à fait surprenant que ce soit tombé sur lui compte tenu de son goût pour la provocation. Un goût, je le répète, qu’on n’est pas obligé d’approuver mais dont il est inacceptable qu’il soit pénalisé de la sorte. Évidemment la plaignante aura eu beau jeu de s’attaquer à lui plutôt qu’à un autre : aux yeux de beaucoup Soral paraît indéfendable (pour de toutes autres raisons que cette insulte) et brandir un tel épouvantail est une manière un peu trop facile de faire taire la critique.

C’est un peu comme ce qui se passe en France ces derniers jours avec la dissolution de l’organisation catholique intégriste Civitas. Personne n’a envie de prendre la défense de ces fous furieux et pourtant il n’empêche que leur association est dissoute par le gouvernement sans la moindre justification crédible et sans qu’elle ait jamais représenté le moindre danger pour la sûreté de l’État. Là encore la technique de l’épouvantail : si vous vous opposez aux bouffées autoritaires de Darmanin alors vous êtes un catho intégriste ; si vous vous opposez à l’article 261 bis du Code pénal suisse alors vous êtes « soralien »… Insupportable !

A ceux que ces épouvantails effraieraient je rappellerais cette réflexion de l’éditeur Jean-Jacques Pauvert qui, dans La Traversée du livre (Viviane Hamy, 2004), écrivait ceci sur son opposition de principe à la censure :

« Quoi qu’en disent les avocats, le procès de La Polka des braguettes n’est pas celui de Madame Bovary, mais juridiquement, il ne peut être différent. […] En retombant chaque fois dans l’ornière de la valeur littéraire, défenseurs et procureurs renvoient indéfiniment le vrai procès, celui qu’il faudra bien plaider un jour, et dont le thème est très simple : y a-t-il, oui ou non, une justification quelconque aux moindres des entraves à la liberté d’expression ? »

Pauvert a raison. Si on les compare à certains lanceurs d’alerte autrement plus sympathiques, on pourrait dire que Soral ou Civitas sont La Polka des braguettes de l’agitation politique, mais juridiquement leurs droits sont et doivent être les mêmes. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise censure : la censure doit être combattue partout où elle se présente et quels qu’en soient les victimes.

Je ne suis pas dupe : je sais bien qu’en faisant passer les principes généraux avant les opinions particulières (ce que j’ai toujours essayé de faire) je n’ai pas à attendre de mes détracteurs qu’ils fassent preuve de la même intégrité. Soral n’a pas bougé le petit doigt quand j’ai été diffamé par Libération, il ne s’est fendu d’aucune déclaration de soutien (contrairement à de nombreuses personnalités de l’opposition) et il a en général plutôt tendance à se féliciter du malheur des autres qu’à le déplorer. Tant pis : je ne l’ai jamais considéré comme un exemple de droiture et son avis m’importe peu. Les principes, en revanche, j’y tiens. Et l’un d’eux, auquel je suis particulièrement sensible, est la liberté d’expression. Que celle-ci se réduise comme peau de chagrin au pays de la démocratie directe alors que nous subissons pourtant bien moins que d’autres les pressions idéologiques de l’Union européenne constitue une dérive extrêmement grave, un pas important vers un dévoiement autoritaire de l’État de droit.

Même Elon Musk, hier, a tweeté sa surprise en ayant vent de cette affaire. Je suppose que ça ne correspondait pas tout à fait à l’image qu’il se faisait de la Suisse…

Que faire face à cette dérive ? C’est avant tout aux divers partis politiques suisses que j’adresse cette question. Devons-nous tolérer que toute critique ou toute saillie un peu leste à l’égard d’une minorité soit désormais passible non seulement d’amendes mais même de prison ferme ? Trouvez-vous normal que deux mots prononcés dans une vidéo justifient qu’on incarcère celui qui les as articulés ? Y aura-t-il encore après ça des candides ou des benêts pour nous expliquer que le wokisme est un faux problème, que ce n’est pas si grave, que ça n’existe qu’aux États-Unis, que nous ne sommes pas concernés, etc. ?

Vous vous souvenez sans doute tous de ce petit texte très connu du pasteur Martin Niemöller :

Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester…

Eh bien moi je ne suis décidément pas « soralien », rien à faire, et je n’ai aucun doute quant au fait que si lui et ses copains étaient au pouvoir ils ne vaudraient guère mieux que les inquisiteurs actuels. Mais la question n’est pas là. Parce que ce qui lui arrive aujourd’hui peut m’arriver à moi demain comme il peut d’ailleurs arriver à n’importe lequel d’entre vous qui me lisez. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Quelle sera la prochaine étape ? Qui sera le prochain parmi nos concitoyens qui verra la police faire irruption chez lui pour lui faire savoir qu’il n’est plus un homme libre et qu’il passera les mois à venir derrière les barreaux ? Vous peut-être ?...

Pensez-y !

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David L'Epée
Lancé il y a 1 an

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