Raphaël Pomey
Raphaël Pomey

4 juillet 2022 4 minutes de lecture

Il y a des boombox en enfer

Pour garder foi en l’humanité, mieux vaut éviter d’aller à la plage. Nous allons voir pourquoi en compagnie d’écrivains.

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« Car le conservateur est toujours contraint de s’appuyer sur des zones que le mouvement n’a pas encore entraînées, telles que la monarchie, la noblesse, l’armée, la campagne. Mais quand tout se met en branle, le point d’appui est perdu. Aussi voit-on les jeunes conservateurs passer des théories statiques aux dynamiques : ils vont défier le nihilisme sur son propre terrain. »

Ernst Jünger, Passage de la ligne

Chers amis, Chers camarades,

J’ai commis un certain nombre de crimes dans ma vie mais je n’ai jamais fait de stand up paddle. Mieux, je n’ai jamais fait de stand up paddle avec une boombox fixée sur ma planche. Je n’invente pas un truc improbable comme un cygne noir ou une déclaration sans arrivisme de Léonore Porchet : j’ai vraiment vu ça, cet été, sur une plage du Nord vaudois. Le mec était debout sur sa planche, et colportait la bonne nouvelle de sa joie de vivre d’un bout à l’autre de la plage. Aux yeux de ce monsieur, ses goûts musicaux valaient sans doute bien mieux que le chant des vaguelettes du lac de Neuchâtel. Probable, même, que certains étaient venus à la plage dans l’espoir de connaître les goûts musicaux d’un inconnu juché sur un bout de plastique avec sa rame à la main.

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C'est joli mais qu'est-ce qu'on a l'air con.

Il faut voir ce qu’est devenu une plage, dans un pays développé comme le mien: on y retrouve encore des gamins -certes devenus majoritairement grassouillets depuis cinquante ans- qui courent après des ballons, quelques odeurs de grillades, des Suisses allemands... Mais ce qui a réellement changé, ce sont les boombox, ces haut-parleurs portatifs qui nous imposent sans répit de la pop sucrée, du rap sous autotune ou de la dance vaguement latino. J’ai même repéré un groupe de beaufs, parfaitement paisibles, qui se relaxaient en écoutant du Metalcore dans leur coin. Rien de tel que des gens qui hurlent à la mort pour se détendre au bord du lac.

Il y a aussi des gens qui me lisent sans s'abonner en enfer.


Et j’ai pensé à cette phrase de Bernanos : « Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté ». Les majuscules sont de lui, je ne sais pas trop pourquoi il les met, mais enfin ça se trouve dans « La France contre les robots », sorti en 1945. Une autre phrase célèbre du bouquin est la suivante : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »

Détruire la vie intérieure

J’aime bien ce mot de « conspiration ». La traque actuelle au « conspirationnisme », dans la plupart des médias progressistes - ceux qui nous racontent chaque jour l’émergence d’une nouvelle pratique sexuelle inclusive et vegan - me semble en effet masquer une réalité qui est sous nos yeux et que plus grand monde ne souhaite voir depuis Bernanos. La destruction constante de tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, nous permettait de garder une vie intérieure riche : le silence, les bruits de la nature, des enfants...Tous ces sons, aujourd’hui, ont été absorbés par le fun. Non pas par des styles musicaux plus ou moins valables, mais par leur mélange par boombox interposées. C’est-à-dire qu’une plage saturée de petits haut-parleurs va voir fusionner les sons qui en sortent, et qui se transformeront en gloubi-boulga de rythmes qui couvrira tout. On s’emmerde tous, mais en rythme.

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Soyons festifs, c'est un ordre.

Que nous reste-t-il face à ce paysage de dévastation? Il nous reste l’effort. Même pas forcément la fuite dans les montagnes, elles-mêmes saturées de fans de trails avec leurs cuissettes fluos, mais plutôt la marche solitaire en forêt, là où la technique peine encore à pénétrer. Ernst Jünger avait écrit un livre là-dessus, qui s’appelle le « traité du Rebelle ou le Recours aux forêts ». Il y dresse le portrait d’une âme d’élite dont le refus de l’esprit du temps, et d’un peu toutes les autorités, n'empêche pas d’être tournée vers la plénitude. Car il ne s’agit pas uniquement de pouvoir accéder physiquement à la végétation, mais d’en porter en soi-même : « Le recours aux forêts demeure possible, lors même que toutes les forêts ont disparu, pour ceux-là qui cachent en eux des forêts », écrit Jünger.

Cachons-nous encore en nous des forêts métaphysiques ? Loin des Switch et des boombox, peut-être encore un peu. Trouverons-nous encore, comme l’espérait Jünger, des puits nouveaux à la fin de notre marche dans le désert ?

Orientations bibliographiques
Bernanos, Georges, La France contre les robots, Bègles, Le Castor Astral, 2017 (1947)
Bernanos, Georges, La liberté pour quoi faire, Paris, Gallimard, 1995 (1953)
Jünger, Ernst, Traité du rebelle ou le Recours aux forêts, 1951, trad. Henri Plard, in Essais, Paris, Le Livre de poche, 2020

Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey


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