Raphaël Pomey
Raphaël Pomey

7 août 2022 5 minutes de lecture

Il est temps que l’on parle des drones

Dans l’arsenal du plouc, la boombox a trouvé un complément idéal pour pourrir les chouettes moments du quotidien.

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La première fois que j’ai pensé à faire ce texte, je me trouvais sur une plage de galets, venu prendre un peu de fraîcheur en altitude. Nous avions mangé en famille dans un chalet d’alpage, à midi, et nous étions simplement contents d’être ensemble, sans grands projets pour la suite de la journée. Il faisait beau, j’avais laissé mon téléphone dans la voiture, on venait d’écouter des airs folkloriques en mangeant des plats trop riches. Le genre de moment, en résumé, où on ne regrette pas tellement de s’être reproduit.

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Près de nous, au bord de l’eau, se trouvait un prototype de père divorcé. Tatouage tribal sur le bras, un boc, le début de quarantaine un peu grasse, il semblait beaucoup s’ennuyer en compagnie de ses enfants puisqu’il ne leur adressait jamais la parole. Ses gamins ne semblaient pourtant pas bien méchants mais, à l’évidence, leur géniteur mettait beaucoup d’efforts à leur couper les ailes. Et comme le meilleur allié, pour ce type de projets, est toujours le téléphone portable, chacun des gamins jouait évidemment sur le sien. A un moment donné, un de ses gosses a semblé vraiment trop s’ennuyer et je l’ai vu se tourner vers le drone que son père avait amené à la baignade, dans son carton. Jugeant le mouvement de tête de son gamin, le père contrarié avait immédiatement eu ce mot décisif : « C’est pas un jouet ». C’en était réglé des interactions père-fils pour la demi-heure à suivre.

C’est une phrase qui ne cesse de me fasciner. Je connais des férus de photographie ou d’images en général qui font un usage intelligent du drone. Spoiler : ils ne sont pas bien nombreux. Et si cet appareil n’est « pas un jouet », il me semble largement excessif d’affirmer qu’il pourrait constituer un outil pour la plupart de ses possesseurs, à l’image de notre géniteur plagique. La plupart du temps, j’ai essentiellement le sentiment de devoir subir, sans pouvoir m’y opposer, un viol de mon intimité venu des hauteurs contre lequel il semble totalement incongru de vouloir s’opposer. Un outil, comme on dit en bon français, qui sert essentiellement « à faire chier le monde ». Mais nous pouvons pousser la réflexion plus loin : On peut aussi se demander s’il n’y a pas un lien entre cette envie de tout filmer, tout enregistrer, et le sentiment que notre monde est en cours d’effondrement. Dans un ultime sursaut technologique, peut-être que le possesseur de drone répond à un appel semblable à celui du serpent de la Genèse : « Vous serez comme des Dieux ». Avant que tout parte en flammes.

On savait, depuis « L’empire du Bien » de Philippe Muray, que « les Dieux étaient tombés sur la Terre ». C’est peut-être l’ultime sursaut de notre civilisation : les voilà de retour dans les airs, mais à distance raisonnable.

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Souvenir d'un beau moment, immédiatement saccagé par le progrès.

Il n’y a rien que je déteste tant que le bruit de ruche du drone qui passe au-dessus de ma tête. Récemment, au-dessus du barrage du Vieux-Emosson, j’ai eu la joie de partager un tête-à-tête de dix minutes avec un bouquetin. Paisible, marrant par moment, l’animal ne semblait pas spécialement motivé à se décaler de mon chemin et j’en ai profité pour faire ma pause en sa compagnie. Le silence était quasi-total et je savais que, quelques centaines de mètres plus tard, j’allais voir le Mont Blanc majestueux. La force des éléments, les sommets enneigés, notre mère la nature, toussa toussa. Et c’est le moment où un jeune, qui écoutait aussi de la techno sur sa boombox avec ses copains un peu plus loin, a jugé bon d’envoyer un drone pour faire une vidéo des lieux, sans trop se demander s’il était parfaitement heureux de conjuguer deux bruits insupportables dans une réserve naturelle. Et soudainement, oubliés les grands espaces, mon bouquetin, le Mont Blanc... Seule restait l’absolue stupidité de ceux qui veulent tout filmer, tout posséder, tout polluer de leur présence.

C’est dans La France contre les robots, l’un de mes livres de chevet, que Bernanos a la phrase suivante : « Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté ». Comme la GoPro ou la Boombox, le drone est l’un des visages d’une modernité qui ignore le vieux concept de paix de l’âme. Pour continuer à citer Muray, disons qu’il permet à l’esclave de la technologie de demander sa dose supplémentaire de servitude.On entend beaucoup, ces temps, parler de libération. Des gens représentants des minorités toujours plus absurdes les unes que les autres s’inventent des périls fantoches et des combats indispensables « parce qu’il est tout de même incroyable qu’en 2022 » (et là vous complétez avec l’oppression de votre choix). Ceux que l’on entend moins, et cette infolettre (« niouzeletter » en anglais) entend les représenter un peu, ce sont les personnes qui souffrent des violations systématiques des normes de la vie en société. La disparition du silence en est un des aspects fascinants, et terrorisants.


Henry David Thoreau: 2/10 sur l'échelle du festivisme

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Voilà la tête d'un mec qui n'aurait pas aimé les drones.

Fuyant la société pour aller vivre dans une cabane isolée près d’un étang, Henry David Thoreau avait cette phrase magnifique : « Seul le silence est digne d’être entendu. » Nous étions au 19ème siècle. Il y avait des locomotives, mais il ne s’endormait pas au son des basses des festivals techno du Massachussetts, pas davantage au son des drones qui survolaient sa cahute.

C’en est fini désormais : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids: mais le Fils de l'homme n'a pas un lieu où il puisse reposer sa tête ».

Oui, je sais, ça ça vient de la Bible, mais comme j'ai rédigé ce papier un dimanche, j’ai bien le droit.

Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey


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Raphaël Pomey
Lancé il y a 2 ans

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  1. Fred
    Plagique: késako? Je ne trouve pas ce terme sur le site du CNRTL :/
  2. Raphaël Pomey
    Excellente suggestion Jean-Patrice ! Lancez donc votre newsletter si vous avez trouvé un bon créneau !
  3. Jean-Patrice Benjamin
    A quand un article sur les quarantenaires râleurs et donneurs de leçons qui ont 80 ans dans leur tête avec leurs idées préconçues et qui s’auto persuadent que 1940 c’était quand même bien mieux. hein. vraiment avec tous ces lgbt non binaires qui font voler des drones qui embêtent les gentils papas musclés qui montrent à leurs gosses comment on regarde le paysage.
© 2023 - Raphaël Pomey
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