Raphaël Pomey
Raphaël Pomey

19 décembre 2024 4 minutes de lecture

Il y a les CFF en enfer

Et un gentil humoriste conscient de ses privilèges pour nous y emmener.

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Chers amis, Chers camarades,

Je tire une certaine fierté d’être petit-fils de chef de gare. Mon aïeul, modèle de perfectionnisme protestant, était en poste à Porrentruy quand j’étais gosse, et – sauf erreur – il n’a jamais conduit de voiture. En tout cas, je ne l’ai jamais vu. Dans mes souvenirs d’enfant, il y a des petits trains, des modèles réduits labellisés Rail 2000 qui me faisaient rêver, et un « grand-papa tchou-tchou » impressionnant mais au grand cœur. J’ai aussi passé des heures à la gare de Vallorbe, écoutant un ouvrier des CFF me raconter ses histoires, explorant des locaux cachés, et m’interrogeant sur toutes ces vies qui transitaient devant moi. Encore aujourd’hui, j’écris ce texte sous la photo d’un quai de gare que ma femme trouve sinistre.

Je mange et j'écris sous cette photo.

Cet héritage, couplé à une technophobie précoce, a fait que je n’ai pas roulé en voiture avant un âge avancé : permis à 26 ans, essentiellement pour qu’on me foute la paix, et conduite régulière à 32-33 ans dans une voiture avec autant de kilomètres qu’un char soviétique, achetée 1 500 francs.

Mais les temps changent, et avec eux mes habitudes de mobilité.

Déjà parce que j’ai reçu une voiture : une Dacia toute neuve, automatique, avec des options dignes d’un film de science-fiction. Enfin, à mon échelle. Mais aussi parce que je vis désormais à l’épicentre des recalés des transports publics. Depuis quelques jours, rien que pour aller à Lausanne, je me prends au minimum cinq minutes de plus par trajet. Et encore, je ne vais pas à Genève, car la ligne directe depuis Yverdon a été purement et simplement supprimée. Elle ne reviendra qu’à une date où même Jean-Marie Le Pen aura cassé sa pipe. Ça n’engage que moi, mais je pense que ça plombe au moins autant l’attractivité de ma ville que les dealers de la gare.

Je pourrais aussi mentionner les habitants des villages d’Essert-Pittet et d’Ependes, à deux pas de chez moi, qui doivent maintenant parcourir une heure de trajet pour faire deux kilomètres (!), comme l’a rapporté Blick cette semaine, ou encore un copain qui se prend vingt minutes dans les dents (en plus des 3h40 qu'il avalait déjà) chaque jour pour aller bosser.

Bersinger nous guide vers la Terre promise

Mais surtout, qu’ils ne soient pas tentés de prendre la voiture, tous ces gens. Parce que, voyez-vous, « le problème avec la voiture, c’est que tu commences à ne penser qu’à ton petit cul dès que tu en as une. » Ce n’est pas moi qui le dis, mais une légende du quartier sous-gare à Lausanne : l’humoriste Blaise Bersinger.

Devenu l’égérie des CFF pour ce changement d’horaire, ce gentil rigolo s’est confié à L’Illustré. Citons ses puissantes réflexions : « Je ne pense pas qu’on puisse être contre un canton. Je ne pense pas qu’on puisse être fondamentalement contre les trains non plus. » Admirez cette belle métaphore comparant les automobilistes à « des chats d’appartement qui sont très heureux tant qu’ils n’ont pas découvert que dehors, il y a un milliard de plaines. » Et saluons enfin sa belle conscience : même s’il vient de faire beaucoup de sous, il explique qu’il avait « déjà quelques privilèges auparavant » en tant que « mec blanc dans la trentaine. »

Alors je m’interroge : pourquoi, chaque fois qu’on nous restreint des libertés fondamentales – que ce soit en temps de Covid ou en saccageant la mobilité de toute une région comme le Pied du Jura –, pourquoi, dis-je, faut-il que ce soit un jeune urbain à capuchon qui vienne nous faire avaler la pilule à coups de bons sentiments ? Une ministre des Transports ne pourrait-elle pas lui demander, au moins, de fermer un peu sa gueule ? À moins que notre exécutif se satisfasse de cette situation...

Une blague qui a eu besoin de trois ou quatre ans pour réaliser son plein potentiel.

Parfois, c’est vrai, la rééducation humoristique devient très drôle avec le recul. Comme quand on revoit Pierre Palmade – c’est toujours en ligne sur le YouTube de la Mairie de Paris – expliquer comment porter le masque en pleine pandémie. Mais parfois, surtout quand on a le sentiment d’être traité comme un bouseux sans importance, ça devient profondément insultant.

Alors non, je ne garantis pas, pour citer Blaise Bersinger, que je vais désormais moins penser « à mon petit cul ». Mais ce que je garantis, c’est que, contrairement à lui, je ne circulerai pas beaucoup en première classe en 2025.

Que Dieu vous garde,
Raphaël

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Raphaël Pomey
Lancé il y a 3 ans

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