Raphaël Pomey
Raphaël Pomey

3 mars 2025 7 minutes de lecture

Élections à Yverdon : la messe est dite, mais l’autopsie s’impose

Il est temps de déplaire à tout le monde. Et en particulier au camp des vainqueurs.

Je suis Raphaël Pomey, du journal Le Peuple.
Vous pouvez me soutenir en achetant mon premier roman ici.


« La première chose qui doit frapper un observateur du dehors, c’est que le socialisme, sous sa forme développée, est une théorie entièrement limitée à la classe moyenne. » 
Orwell, Le Quai de Wigan, Chapitre 11

Chers amis, chers camarades,

Si vous n’êtes pas végétarien, vous connaissez sans doute ce sentiment qui vous ronge lorsque vous vous impatientez d’attaquer une belle côte de bœuf, bien grillée, saignante au cœur, accompagnée d’un demi-litre d’IPA bien fraîche. C’est exactement l’état d’excitation qui m’habite depuis des semaines en pensant au moment où je pourrais écrire à propos de la complémentaire qui s’est achevée hier dans la ville que j’aime, Yverdon-les-Bains. Durant toute cette période, quantité de militants des différents camps, même ceux qui me dénonceront publiquement comme une figure du mal absolu, se sont en effet confiés à moi, sans trop oser l’afficher. Le syndic, moins effrayé à l’idée d’être aperçu en compagnie d’une citadelle conservatrice dans mon genre, est à ce titre une exception notoire. Mais j’ai voulu que ma ligne soit claire : je n’ai jamais traité du sujet dans mon journal et me suis concentré sur la sortie de mon roman, que vous pouvez acheter ici pour me soutenir.

Je sais que beaucoup de gens attendaient que je m’engage dans le cirque politique qui s’est achevé – très provisoirement – ce week-end. Certains ont même imaginé que c’était moi qui avais coordonné le « Journal pour Tous » de Ruben Ramchurn, ou géré sa campagne. Il n’en est rien. Quand on me demandait des conseils, j’en ai effectivement donné – à droite et à gauche – et sans jamais demander un centime (alors que la communication politique est l’un de mes gagne-pains). J’ai choisi cette posture par hygiène mentale, souhaitant rester un observateur totalement indépendant, mais aussi en cohérence avec mes valeurs.

Qu’est-ce que « mes valeurs » viennent faire là-dedans ? C’est très simple : dès le début, j’ai jugé que faire campagne pour reprendre le siège d’un élu décédé en fonction était une faute morale et stratégique de la part du centre-droit. Je l’ai dit et on me l’a reproché. Mais aujourd’hui, alors que ce camp politique a implosé dès le premier tour, avec des figures du PLR soutenant plus ou moins directement un autre candidat que le leur, j’ai le sentiment que le temps m’a donné raison. Rappelons le contexte : peu à l’aise avec l’idée de briguer le siège de feu Jean-Claude Ruchet, la droite avait lancé Gildo Dall’Aglio, Vert’libéral (et ancien socialiste) de 73 ans, auteur d’un modeste 24,59 % au premier tour. Au-delà de l’aspect peu glorieux de la manœuvre, quel était l’intérêt d’engager ce combat à un an des « vraies » élections, avec un candidat certes valeureux, mais incapable de capter la grogne des Yverdonnois ?

Sentir le pouls de la population, voilà un art dans lequel excelle Ruben Ramchurn. Désormais à la tête du famélique parti « Yverdon pour Tous », voilà un bonhomme dont les fragilités du parcours ont été scrutées par les médias, de même que ses ennuis judiciaires, et qui pourtant a bousculé jusqu’au bout l’armada rose-verte de la cité thermale. Au lieu de se boucher le nez en méprisant ces gens « peu éduqués » qui votent « contre leurs intérêts » en le soutenant, je crois que la gauche devrait désormais chercher à savoir de quoi Ruben Ramchurn est le nom.

On a parlé de lui comme du « Trump D’Yverdon ». Et pour connaître l’oiseau depuis des décennies, je lui reconnais une capacité à paraître proche des gens, exactement comme le président peroxydé, et à contourner habilement les médias en place. De toute manière, les journalistes lui tendront le micro, quoi qu’il fasse. Il a donc choisi de construire son image sur les réseaux sociaux, une stratégie qui lui a valu une avalanche d’articles et de portraits plus ou moins élogieux. Mon constat est donc le suivant : alors qu’une gêne croissante entoure la politique de la majorité en place, le peuple et les médias avaient besoin d’un détonateur, et n’importe quel candidat habile aurait pu endosser ce rôle. Le problème de la gauche, dans notre cas, est qu’elle faisait face à un personnage folklorique, peut-être, mais plus à l’écoute qu’elle des frustrations des gens ordinaires. Parce qu’il les fréquente et ne se bouche pas le nez quand il croise les gueux. Rire de lui comme du « candidat des cassos » était une trahison des valeurs socialistes.

Une hostilité au peuple à peine masquée

« Mais l'essentiel est que les gens de la classe moyenne croient que la classe ouvrière est sale. »
Orwell, Le Quai de Wigan, Chapitre 4

Mais d’où vient cette grogne de la population ? Quitte à surprendre, je crois qu’elle ne vient plus beaucoup de la présence des dealers vers la gare. Tout le monde a compris que cette situation, largement exploitée par le candidat indépendant, n’était pas propre à notre ville et que les élus faisaient ce qu’ils pouvaient face à l’arrivée d’un nouveau produit. Il y a aussi la terrifiante politique de mobilité, bien sûr, mais là aussi la même grogne ne semble curieusement pas ronger d’autres villes romandes, où les mesures anti-bagnoles ont atteint un niveau encore plus délirant. Pour ma part, je crois que cette grogne s’explique par une position de surplomb moral dans laquelle s’est enfermée la gauche yverdonnoise, persuadée de se confondre avec le Bien.

Lu dans Le Temps.

Durant des semaines, nous avons vu des all stars de gauche, croyant représenter quelque chose pour la population, se livrer à un tir de barrage contre Ruben. Les plus baroques y allaient même de leur « ¡No pasarán ! » dans des médias connus pour livrer leurs adversaires en pâture. Dans Le Temps, quelques jours avant le deuxième tour, un bobo célébrait même la multiculturalité qu’apportaient les dealers en ville ! Comment voulez-vous que, dans ce contexte, les appels à lutter contre le fascisme – donc contre Ruben – ne produisent pas l’effet inverse ?

Fasciste, Ruben Ramchurn ne l’est d’ailleurs pas. Durant des années, j’ai vu l’abominable figure de Margaret Thatcher en photo de couverture de son téléphone, ce qui est pire à mes yeux. Mais lorsque la gauche pédagogo invite la population à se détourner de la bête immonde, sans doute oublie-t-elle que les immigrés eux-mêmes ont de fortes raisons de voter pour un type comme lui qui ne les empêchera pas de rouler en bagnole, de griller des saucisses ou de dire un mot plus haut que l’autre. Essayer de comprendre cela, à mon sens, eût été plus judicieux que l’engagement beaucoup trop bas des membres de la Municipalité dans cette campagne.

Quelque chose de repoussant

« Comme pour la religion chrétienne, la pire publicité que connaisse le socialisme est celle que lui font ses adeptes. »
Orwell, Le Quai de Wigan, Chapitre 11

Oui, il faut avoir le courage de le dire : si le candidat indépendant a pu bousculer la majorité rose-verte, c’est aussi et surtout parce que cette dernière a quelque chose d’intrinsèquement déplaisant. Je ne parle pas ici du nouveau municipal, que j’ai trouvé intelligent, redoutable en débat et cultivé. Je veux parler de ces figures lausannoises, ces professionnels de la politique jusqu’au bout des ongles, venus soutenir le candidat de leur bord et admirablement se placer sur la photo en vue des prochaines élections fédérales. Je veux parler de ces gens qui ont permis qu’au cœur de la bibliothèque publique de la ville, une exposition affirme que la politique migratoire de la Suisse est scandaleuse, avec des textes saturés de « X » pour qu’on n’oublie surtout pas les migrants transgenres. Je veux parler de ces gens qui n’ont plus pour seul objectif que de monitorer les congés menstruels, en attendant d’être un jour élu-e-x au Conseil national.

Bibliothèque municipale d'Yverdon-les-Bains.

Je le dis depuis des mois, la gauche est condamnée à perdre si elle ne revient pas au véritable souci des gens. Personne ne vote pour qu’une municipalité, effrayée par la verticalité au point d’inventer la cosyndicature, dépense des dizaines de milliers de francs pour que la population l’aide à décider si elle doit ou non planter un arbre. Personne ne vote, au niveau local, pour que se multiplient les gadgets inclusifs qui n’aident pas les prolos à arrondir leurs fins de mois. Surtout, personne ne vote pour se voir donner des leçons de morale de la part de bourgeois.

Trois hectares et une vache

« À cette époque-là, les gens prenaient la politique au sérieux. Ils mettaient les œufs pourris de côté plusieurs semaines avant le jour de l'élection. »
Orwell, Un peu d’air frais, chapitre 2

Alors la gauche a finalement gagné, mais essentiellement du répit. Et il faut dire que cette victoire ne ressemble d’ailleurs pas exactement à du Chirac-Le Pen de la grande époque. Avec 36,7% de participation et une élection avec un écart de 642 votes dans une ville comme celle que j’aime, quelqu’un doit avoir le courage de rappeler que nous ne faisons pas face à un raz de marée du trumpisme, mais de l’indifférence.

Aujourd’hui, ma ville m’a fait mal. Non pas parce qu’elle a élu Julien Wicki, que je tiens pour compétent et honnête, mais parce qu’elle s’est donnée en spectacle. Une élection ne devrait pas se faire à coup de plaintes, de pétitions ridicules, de saynètes gênantes. Oui, j’aime Yverdon, farouchement. Et j’ai mal de voir sa classe politique se donner en spectacle au monde entier.

Il y a aujourd’hui un avant-projet de loi sur les communes, dans mon canton, qui entend professionnaliser la vie politique des villages, en les poussant insidieusement à la fusion. Le spectacle misérable de ma ville de cœur m’incite à penser que nos autorités devraient plutôt organiser des stages de formations dans nos campagnes, où il règne encore un minimum de décence commune.

Que Dieu nous garde,
Raphaël

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Raphaël Pomey
Lancé il y a 2 ans

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