David L'Epée
David L'Epée

5 juin 2023 6 minutes de lecture

Un spécialiste du genre et de la diversité rêve d’abattre la neutralité suisse

« La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires » disait Clémenceau. C’est vrai : pourquoi ne pas la confier plutôt à des spécialistes du genre et de la diversité ? Avec deux ennemis en ligne de mire : la Russie et... la Suisse !

On reparle de la guerre en Ukraine et de l’attitude de la Suisse face à ce conflit. Si la majorité de mes compatriotes semble attachée à la neutralité et n’a aucune envie de se serrer en rangs d’oignons derrière l’un ou l’autre des deux camps en conflit, ce n’est pas le cas de nos élites qui, depuis le début des hostilités, poussent des hauts cris pour demander à ce que la Confédération suive sans regimber les sanctions de l’Union européenne contre la Russie et fournisse à la clique de Zelensky toutes les armes qu’on lui demande. Chaque jour la presse suisse se fait le porte-voix de tel ou tel représentant des milieux politiques, médiatiques ou culturels appelant à la nouvelle guerre sainte contre l’ogre poutinien. Si la sincérité de leur haine de la Russie (ou leur « russophobie », comme le disait Giulietto Chiesa dans un passionnant essai paru il y a quelques années) ne fait aucun doute, il est toutefois très probable qu’elle ne constitue qu’un prétexte parmi d’autres visant un but plus immédiat : faire tomber les dernières digues qui permettent à notre pays de maintenir un semblant de souveraineté et de résister face aux diktats de Bruxelles.

Cette volonté d’alignement, de normalisation, est patente dans certaines tribunes qu’on peut trouver çà et là, toujours en bonne place dans les médias de grand chemin. La dernière que j’ai lue dans ce goût-là est parue dans Le Temps du 17 mai, elle s’intitulait « La “neutralité” suisse à la lumière de l’agression russe contre l’Ukraine » et était signée par un certain Marius Diserens, élu Vert de Nyon et présenté comme un… spécialiste du genre et de la diversité ! En voilà une belle « spécialité », qui fleure bon l’esprit des nouveaux campus déconstruits et qui, à n’en pas douter, donne à celui qui s’en pare toute légitimité à exprimer un avis éclairé sur des questions de politique internationale ! Que nous dit donc cet éminent spécialiste de l’art de la guerre ?

« Combien de temps encore le Conseil fédéral refusera-t-il de coopérer avec le G7 et l’Union européenne pour participer plus activement aux sanctions contre la Russie ? Combien de temps empêchera-t-il la réexportation par des pays ayant acquis du matériel de guerre produit en Suisse vers l’Ukraine ? Combien de temps la Suisse va-t-elle soutenir ainsi l’effort de guerre russe ? »

La photo étant en noir et blanc, on ne saura pas si M. Diserens porte ou non les cheveux bleus. Les paris sont ouverts.

Combien de temps ces grandes âmes continueront-elles à appeler à « la guerre sans l’aimer » (expression tartuffesque déjà fort prisée par un autre faucon atlantiste nommé Bernard-Henri Lévy) ? Combien de temps ces éternels déçus leur propre pays et de leur propre peuple nous inviteront-ils à enterrer notre neutralité et à nous coucher devant la maison Bruxelles ? Et une fois encore, sans réelle surprise, ce sont les Verts qui appellent aux armes et qui rêvent de bruits de botte. Les Verts – que dis-je ? Les Verts-de-gris ! Cette montée soudaine des humeurs belliqueuses chez les Verts de différents pays d’Europe de l’Ouest, en Allemagne notamment, m’avait déjà inspiré un autre article il y a quelques semaines.

Hervé Juvin, dans une chronique parue le 11 mai sur son site et consacrée au thème de l’écologie, observait le même phénomène : « L’alignement des Verts au Parlement européen sur les intérêts américains devrait avertir sur leur complicité avec la ploutocratie qui s’est emparée de Washington, et dont le grand peuple américain entreprendra tôt ou tard de se libérer. » C’est tout le bien que nous pouvons souhaiter à nos très lointains cousins américains mais nous devrions commencer par donner l’exemple et oser enfin, sur notre sol, dire non au chantage de l’OTAN !

Si on peut déplorer cette soumission atlantiste dans des pays comme l’Allemagne ou la France, largement inféodés aux volontés yankees (du fait de leurs gouvernements et du fait aussi, bien sûr, de leur position au sein de l’UE), on la déplorera davantage encore dans le cas de la Suisse, censée être libre de cette allégeance-là et fidèle à son idéal de neutralité. Mais cet idéal, aujourd’hui, est considéré par une partie de nos propres représentants politiques comme un chiffon de papier qu’il convient de fouler aux pieds.

Déjà le 25 février dernier, toujours dans les pages du Temps (tiens donc !), Yves Petignat déplorait « l’insoutenable légèreté de la neutralité » et écrivait la chose suivante :

« Ce n’est plus de la réexportation d’armes qu’il est question, mais bien de la justification de la neutralité. L’image d’une Suisse peu solidaire du reste de l’Europe et profiteuse est en train de faire des dégâts dans les médias, dans les opinions européennes et jusque dans les cercles gouvernementaux. […] D’instrument de notre politique étrangère, la neutralité est devenue une “représentation quasi thaumaturgique”, selon le mot de l’historien Antoine Fleury, une composante de l’identité helvète. Elle est devenue pour nous un peu comme la monarchie pour les Britanniques. Sans elle, nous ne sommes rien. Ce qui justifie, aux yeux de la droite nationaliste, de l’inscrire expressément dans la Constitution. […] Moscou considère que désormais la Suisse n’est plus neutre. Or on n’est pas neutre seul, on l’est par la reconnaissance des autres. »

La bonne blague ! Si Moscou considère effectivement – et c’est là une chose extrêmement dommageable dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences – que la Suisse n’est plus neutre, c’est bien parce qu’en reprenant docilement les sanctions européennes contre la Russie nous avons effectivement rompu cet engagement de non-ingérence qui, en effet, fait pour ainsi dire partie de l’ADN de la Suisse et mériterait, de ce fait, de figurer dans la Constitution. N’inversons donc pas l’ordre des choses : ce n’est pas parce que le Kremlin refuse de reconnaître notre statut de pays neutre que nous devrions cesser de l’être, c’est parce que nous avons cessé de l’être que le Kremlin en a tiré ces nouvelles conséquences-là sur le plan diplomatique. Autrement dit, ce n’est pas Poutine ni quelque chef d’État étranger que ce soit qui a porté le premier coup de canif dans notre neutralité, c’est le Conseil fédéral lui-même ! C’est à Berne que le peuple suisse a été trahi, pas à Moscou !

Cherchez l'erreur...

Le 10 mars dernier, La Nation résumait assez clairement la situation à laquelle se trouvait confronté notre pay :

« La Suisse est divisée. D’un côté, la droite souverainiste, appuyée par une majorité des jeunes générations, souhaite que nous restions – ou redevenions – un État neutre, en évitant de prendre parti dans la confrontation en cours et en menant une politique de bons offices en faveur de la paix. Dans le camp adverse, on trouve les libéraux pro-américains, les socialistes antimilitaristes (à la louable exception du conseiller fédéral Alain Berset), les médias avides d’images dramatiques et une majorité de retraités, tous vivement encouragés par des lobbyistes ukrainiens et américains, qui appellent à un engagement militaire aux côtés de l’Ukraine, en commençant par vendre un maximum d’armes et de munitions. »

Voilà en effet où nous en sommes ! A noter que dans la foulée de cette analyse critique la Ligue Vaudoise, éditrice de La Nation, organisait une conférence de Félicien Monnier sur cet épineux sujet. Nous y reviendrons prochainement au cours d’un entretien qu’il a bien voulu nous accorder. A noter également que cette question de la neutralité est traitée plus en profondeur dans le dernier numéro des Cahiers de la Renaissance vaudoise.

Quoi qu’il en soit et même si nous sommes trahis par ceux censés défendre nos intérêts, ne cédons pas aux sirènes des faucons, n’oublions pas que leur soudaine humeur guerrière est mue avant tout par une hostilité viscérale à notre souveraineté et par une volonté obstinée de rendre la Suisse « eurocompatible » en tout, au risque de lui faire renoncer à ses fondamentaux et perdre son honneur. Ne cédons pas !

 

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Lancé il y a 1 an

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