25 mars 2023 • 5 minutes de lecture
La vraie raison pour laquelle on ne parle pas d'argent, ni de politique, à table
Bonjour à tous,
J’ai appris une chose très importante sur l’argent, en lisant le livre "Au plaisir de Dieu" de Jean d'Ormesson.
Ce livre raconte comment une famille qui est au sommet la hiérarchie sociale depuis 1000 ans, et qui semblait encore avoir tous les atouts au début du 20e siècle (empire industriel, immeubles, terres, éducation, réseau social, culture) s’effondre. En 1970, il n'en reste plus rien.
C'est passionnant, par de nombreux aspects, mais je vais parler uniquement dans cette lettre de l’argent.
Comme vous le savez, il y avait une règle dans les bonnes familles de ne jamais parler d'argent. C'était vulgaire, impoli. On considérait que ce n'était pas ça qui était important. Seuls les nouveaux riches, les Américains, parlaient à table de leur salaire, ce qui était d’une extrême grossièreté.
On attribuait ça à une différence de culture : le protestantisme valorise la réussite financière, le catholicisme culpabilise les riches, etc.
Mais en fait, pas du tout.
La raison est beaucoup plus simple : quand vous avez le pouvoir politique (ce qui était le cas de cette famille dont parle Jean d’Ormesson), vous n'avez pas besoin de vous soucier de l'argent puisque, en cas de force majeure, il vous suffit de prendre l'argent des autres.
Parler d’argent à table « ne se fait pas » parce que cela indique que l’argent vous préoccupe, donc que vous doutez de votre pouvoir.
Vous êtes un faible ou un imposteur. Vous n’avez rien à faire à la table des puissants qui, eux, ne se soucient guère d’argent et peuvent parler de chasse, de voyages, de philosophie, de diplomatie…
Un noble qui avait des dettes, mêmes colossales, n’avait pas à s’en inquiéter puisque, si vraiment il avait un problème avec ses créanciers, il pouvait toujours envoyer des hommes en armes réquisitionner des biens chez ses paysans, ou les faire piller chez ses voisins ou à l’étranger.
Non seulement les dettes n’étaient pas un problème, elles étaient même un signe de votre puissance !
De même que les gens bien élevés ne parlent pas d’argent, ils ne parlent pas non plus de politique.
La raison est la même : on ne parle pas de politique à table puisque c’est vous qui la faite, la politique.
Lancer une discussion à ce sujet met mal-à-l’aise puisque cela traduit vos hésitations. Or, quand on est soi-même le chef, on ne doute pas, ou du moins on ne doute pas publiquement de son pouvoir.
On l’exerce.
Les discussions stratégiques se font pas en public. Elles se font dans votre cabinet, avec vos conseillers.
C'est exactement ce qui se passe aujourd’hui dans les milieux de pouvoir.
Rien n'a changé aujourd'hui :
Que l’Etat français, l’Etat américain ou que la Ville de Paris aient des dettes colossales, cela n’empêche pas Emmanuel Macron, Joe Biden ou Anne Hidalgo de dormir.
Ce qui les empêche de dormir, c’est leur ré-election.
S’ils vous invitaient à dîner chez eux en tête-à-tête, vous pouvez être sûr que jamais ils ne s’inquiéteront authentiquement de manquer d’argent.
Dans le pire des cas, ils prendront une mine faussement préoccupée en disant : « Bien entendu, il y a la question financière, il faut tout de même en tenir compte. »
Mais endetter leur pays de façon extrême ne les inquiète pas du tout.
Avant qu’il n’y ait plus rien à manger dans le frigo et l’Elysée ou à la Mairie de Paris, la Joconde, Versailles, Notre-Dame de Paris et tous les Rafales auront été vendus.
Ils seront les derniers à souffrir personnellement de la faillite de leur pays (ou de leur ville), même s'ils sont les premiers responsables.
Dans le pire des cas, un chef d’Etat qui n’a plus rien dans son assiette envoie l’armée réquisitionner de la nourriture, soit sur son propre territoire, soit, s’il n’y a plus rien non plus sur son territoire… chez ses voisins. C’est ce qu’on appelle la guerre.
Les classes dominantes sont celles qui ont la maîtrise des forces de l’ordre et de l’armée.
Ce ne sont absolument pas, comme Bourdieu, les structuralistes et les farceurs de leur type l’ont avancé, les personnes qui ont le « pouvoir culturel », ni même « économique ».
Celui qui a le pouvoir dit « culturel » est seulement quelqu’un dont les connaissances lui permettent d’être particulièrement à l’aise et productif dans la société.
Celui qui a le « pouvoir économique » dispose d’importantes ressources financières.
L’un comme l’autre, s’ils n’ont pas le pouvoir politique (maîtrise de la force armée) sont exposés à se faire réquisitionner tout ce qu’ils possèdent par ceux qui ont le « vrai » pouvoir.
« Aucune propriété n’est en sécurité lorsque le Parlement est en cession », disait l’écrivain et humoriste américain Mark Twain.
Réciproquement, vous n'êtes jamais vraiment riche si vous n'avez pas le pouvoir politique (le contrôle de la force).
Vous pouvez avoir des millions, des milliards, vous êtes toujours exposé.
John D. Rockefeller était l’homme le plus riche du monde au début du 20e siècle. Plus aucun de ses descendants n’est milliardaire aujourd’hui. Idem pour les famille Carnegie, Getty, Vanderbilt…
Il y a une exception, les Rothschild, mais nous en parlerons une autre fois.
Quelles que soient vos mesures de diversification et de prudence, il arrive toujours des événements (crise, révolution technologique, inflation, concurrence) qui menaceront votre fortune. Et une fois qu’elle est parterre, bonne chance pour recommencer si vous ne pouvez pas envoyer le percepteur chercher directement les sous là où ils se trouvent.
D'où la hâte qu'on toujours montré les nouveaux-riches pour s'allier avec ceux qui avaient le pouvoir. C'était le seul moyen de conserver ce qu'ils avaient acquis : mettre la force armée du côté de leur famille ou, plutôt, mettre leur famille du côté de la force armée via des mariages.
Le seul inconvénient du pouvoir politique est que, lorsqu’il change de main, les nouveaux-venus risque bien de se venger de tous les abus que vous leur avez imposés en vous coupant la tête.
Une fois que la force armée est de leur côté, en effet, c’est difficile de résister à la tentation de l’utiliser.
Vincent
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