31 mars 2023 • 10 minutes de lecture
Prendre le risque d’être quelqu’un
Bonjour à tous,
Longtemps, les gens n'ont eu que des choses qui n'étaient qu'à eux :
Le guerrier avait sa lance, son bouclier ;
Le paysan avait son costume, fabriqué de ses mains, sa chaumière, ses outils ;
Le chevalier avait son armure, son blason, son épée forgés à la main ;
C'est pourquoi quand nous retrouvons des objets ayant appartenu à quelqu'un il y a longtemps, c'est émouvant : "Oh, et dire que cette pierre a été taillée par un homme préhistorique ! Qui était-il, comment vivait-il ??"
On imagine l'homme préhistorique accroupis en train d'essayer de tailler son silex, puis d'essayer de découper un mammouth avec...
Il n'en ira pas de même pour nous si, à notre mort, il ne reste de nous que des meubles Ikéa, des habits de Zara, des sacs de LVMH, et dans notre cuisine du Nutella et des surgelés Picard.
La plupart des biens qui nous entourent sortent d’usine. Vous retrouvez chez tous vos voisins, que dis-je, dans toute la civilisation.
Les personnes qui hériteront de nos choses ne pourront se raccrocher à aucun souvenir si tout est impersonnel, dans ce que nous leur laissons.
Pour rester des êtres humains, il faut sortir de l’anonymat, de la production série, de la standardisation.
C’est la même chose pour la plupart des objets dits de luxe : montres, bijoux, voitures.
Les commerçants font de gros efforts pour donner l'impression d'une "exclusivité". Mais avec les sites de revente en ligne, les gens réalisent que c'est fake.
Comment faire pour exister, hors de la standardisation faite pour tout le monde :
Se tourner vers l’art.
L’art est différent de l’artisanat, qui est fondé sur un savoir-faire précis et la répétition des mêmes procédés, pour reproduire les mêmes choses.
L’art, au contraire, est un ajout à l’univers.
C’est la création d’une chose précieuse qui n’existait pas avant, et dont on s’aperçoit, une fois qu’elle est là, sur un mur, dans une pièce, qu’elle manquait et qu’elle est irremplaçable.
L’art apporte au monde des choses qui n’existaient pas, sous aucune forme, même de ressemblance lointaine.
C’est évident avec la musique.
Le chant des oiseaux, le son de la pluie et du tonnerre, n’ont rien à voir avec la musique. Même quand nous parlons, la “musique” de notre voix n’a rien à voir avec de la vraie musique, qui commence quand nous chantons.
Mais une fois que la musique est là, on réalise à quel point la vie aurait été plus pauvre, plus triste, sans elle.
Idem avec l’architecture : imaginez le monde sans Notre-Dame de Paris, sans les villages de Provence, sans Manhattan et sans le Taj Mahal.
C'est encore la même chose pour les autres formes d’art : la sculpture, la peinture… Une belle sculpture dans un jardin, un beau tableau dans une maison, crée une impression de beauté et d’élévation spirituelle qui n’est comparable à rien d’autre.
Vous avez beau avoir la vue la plus magnifique par votre baie vitrée, cela ne se compare en rien à un paysage de van Gogh ou de Poussin.
Faire de l’art demande un grand savoir-faire et de l’inspiration.
Pour être van Gogh, il faut une âme très particulière, capable d’inventer de nouvelles formes, de repérer dans les paysages, les choses, les gens, des facettes que personne n’avait vues avant vous.
Et il faut avoir les moyens techniques de les représenter.
Une fois que l’œuvre d’art est faite, encore faut-il qu’elle ne soit ni abîmée, ni détruite.
Avec les guerres, les incendies, les inondations, les moisissures, la plupart des œuvres d’art produites dans l’histoire de l’humanité ont disparu, ou ont perdu la plus grande partie de leur beauté parce qu’elles sont abîmées.
Les œuvres d’art sont donc précieuses, et il n’est pas étonnant qu’elles coûtent parfois des sommes faramineuses.
Et pourtant, miraculeusement, il reste possible de trouver une profusion d’œuvres d’art de qualité et accessibles financièrement.
Il y a des galeries qui en vendent, des artistes qui en produisent, des salles des ventes (ventes aux enchères) dans la plupart des villes, qui régulièrement proposent des choses magnifiques pour très peu cher.
N’importe qui a le droit de les acheter.
Et pourtant, la plupart des gens s’abstiennent, même si elles en ont les moyens financiers.
Ce qui les retient ?
La peur de se tromper.
Je peux comprendre la crainte de vivre dans un bric-à-brac.
On n’a plus envie, en 2023, de vivre comme chez nos grands-mères, avec des dentelles, des pots en étain, des poupées de cire et des tableaux en broderie.
La solution est de peindre votre appartement de couleurs neutres (plinthes et moulures coquille d'œuf, murs blanc cassé, plafond blanc industriel), de meubler avec des meubles neutres type Ikéa ou, mieux, de design italien des années 60 et 70, donc dans ce style là :
Avec un canapé gris linéaire de base chez Conforama (800 euros) de ce style là (éviter le canapé en cuir blanc), que vous pouvez aussi prendre couleur beige :
Sur un beau mur blanc ou crème derrière, avec un tapis beige plus foncé, vous pouvez mettre n’importe quel tableau derrière, et vous obtiendrez un effet fantastique.
Je répète que tout tableau sera préférable à du vide, ou à un poster impersonnel (affiches du Grand Bleu, de David Bowie, d’Orange Mécanique ou même d'Audrey Hepburn).
Il est normal que vous ayez peur de vous tromper.
Afficher un tableau de mauvais goût chez soi, c’est révéler aux gens, à vos invités, votre mauvais goût. Car, à moins d'être un as de la décoration, nous avons tous mauvais goût, au départ.
Le goût est une chose qui se travaille, qui s'acquière, avec le temps et l'expérience.
Donc, quand on commence, c'est de mauvais goût, et c'est compromettant.
Mais c’est courageux.
Cela prouve que vous êtes quelqu’un.
Une personne qui ose exister, et qui ose regarder en face le fait qu’elle n’est pas parfaite.
Que son goût a besoin d’être formé, avant d’arriver à la perfection, et que pour cela, la méthode des essais et des erreurs reste la plus accessible à tous.
Non, vous n’êtes pas Louis XIV, et donc votre appartement, le jour où vous commencerez, ne ressemblera pas à Versailles, ni même au Petit Trianon.
Mais rappelez-vous que Louis XIV n’a pas commencé à zéro, ne serait-ce que parce qu’il était le fils de Louis XIII.
Et il n’a pas réalisé Versailles en une après-midi. En revanche, il a osé essayer. Et c’est à partir de là que tout est devenu possible.
Pour les timides, voici quelques tableaux que vous pourriez acheter dans les semaines qui viennent, en vente dans les salles.
Pour ceux qui ont beaucoup de moyens, voici un tableau qui pourrait coûter environ 2500 ou 3000 euros, avec les frais de transport.
Cela paraît beaucoup, mais c'est moins que le prix du cadre du tableau. Comparez aussi au prix à la moindre réparation sur une voiture, ou à l’intervention d’un plombier pour réparer une chaudière.
Je vous garantis que ce n’est pas de mauvais goût. Celui qui rirait en le voyant en déclarant que c’est “une croûte” ne ferait que se compromettre lui-même.
C’est un tableau en vente à Londres, chez Sotheby’s.
Imaginez ! Les gens de Sotheby’s tiennent un minimum à leur réputation et ne font pas, sur l’art ancien en tout cas, d’arnaques énormes (c’est différent sur l’art contemporain).
Vous pouvez mieux voir ce tableau en consultant le lien suivant :
Très chic aussi, il y a celui-ci :
Vous pouvez le voir plus en détail ici : https://www.sothebys.com/en/buy/auction/2023/old-master-paintings/archibald-william-montgomerie-1812-1861-13th-earl
Dans le même ordre de prix, vous avez celui-ci :
C’est un magnifique tableau ancien, dans lequel il y a d’innombrables détails à observer.
Pour moins cher (1000 euros avec les frais), vous avez à Drouot cette charmante baigneuse, à accrocher plutôt dans une chambre à coucher :
https://drouot.com/l/20935787-lucien-henri-grandgerard-18801
Ou encore ce petit couple d’amoureux :
https://www.sothebys.com/en/buy/auction/2023/old-master-paintings/the-courtship
N’est-ce pas invraisemblable ? Quelques tableaux comme ça dans une maison et vous avez l’impression de vivre à l’Elysée.
Et pour moins cher encore, ce très joli tableau de la cathédrale d’Albi :
https://drouot.com/l/20935782-jean-gabriel-goulinat-18831972
Encore une fois, je comprends évidemment que l’on se sente mal au moment de passer à l’acte :
“Mince, comment vais-je me sentir, le jour où je reçois cette tableau à la maison ??” “Et si mes amis rient en le voyant, le trouve ridicule et de mauvais goût ??”
Mais c’est aussi l’intérêt de l’opération. Découvrir qui vous êtes, ce que vous ressentez dans une situation inconnue, comment vous allez réagir face à la nouveauté.
Comment allez-vous réagir aux commentaires de vos amis ? Que signifient-ils pour vous ? Vont-ils, même, remarquer quoi que ce soit ?
Va-t-il y a voir des “Oh” et des “Ah” ?
Qui sont ceux qui s’intéresseront au sujet et oseront faire un commentaire, peut-être pour vous aider à trouver un meilleur emplacement ? Qui proposera d’aller chercher sa perceuse ?
Acheter des œuvres d’art, c’est prendre le risque… d’exister, de vivre, d’être quelqu’un.
Pour vous, la question est de savoir si l’œuvre d’art que vous envisagez d’acheter va apporter quelque chose de plus à votre intérieur.
Votre salon sera-t-il plus intéressant ? Plus élégant ?
Aurez-vous plus de joie à rentrer chez vous ?
Aurez-vous plus de facilité à vous évader, à rêver à quelque chose d’agréable, avec ce tableau ?
Si vous n’avez pas d’œuvre d’art chez vous, la réponse est simple : oui, cela apportera toujours quelque chose de plus.
Si vous avez déjà des œuvres d’art, mais que vous avez encore un emplacement vide quelque part, la réponse est simple également : oui, l’œuvre d’art sera forcément mieux que le vide.
Si vous avez déjà des œuvres d’art partout chez vous, la réponse est presque aussi simple : si l’œuvre d’art que vous envisagez d’acheter vous paraît mériter de remplacer une œuvre que vous possédez déjà, et que vous en avez les moyens, alors allez-y.
Il est crucial de se sortir de la tête la question du "est-ce trop cher ?"
Nous ne sommes pas assez intelligents pour répondre à ce type de questions.
La seule raison pour une œuvre d’être “trop chère”, serait que vous connaissiez un autre endroit où la même est vendue moins chère.
Si c’est le cas, vous n’avez pas besoin de moi pour la solution : allez acheter l’œuvre où elle est moins chère (à condition qu’elle soit aussi bien évidemment. Si elle est moins bien et moins chère, ce n’est pas forcément un meilleur choix).
Vous verrez bien, dans trois mois, si vous avez acheté une ignoble croûte que vous ne supportez plus. Mais ce sera alors l’occasion de la remplacer par une autre, et je vous garantis que vous ferez mieux la seconde fois, puis la troisième, puis la quatrième.
Les œuvres d’art se revendent à la moitié de leur prix, ce qui est à peu près comme les montres. Le risque financier est limité, par rapport à l’intérêt de l’expérience.
Bien sûr, vous pouvez renoncer.
Vous dire que, par peur de commettre une erreur, vous préférez ne rien faire.
Mais attention : vous prenez aussi un risque en renonçant.
Lorsqu’on interroge les gens sur leur lit de mort, leur plus grand douleur n'est en général par les remords pour les erreurs qu’ils ont commises en essayant de faire des choses.
C'est la douleur d'avoir renoncé à faire quelque chose, alors qu'ils auraient aimé essayer.
L’impression d’être “passé à côté de sa vie” est, paraît-il, un des pires sentiments qu’on puisse éprouver à l’approche de la mort.
Voici trois trucs qui peuvent aider à passer à l'acte :
achetez des œuvres authentiques. Si le prix est important (disons, au-delà de deux-mille euros), mieux vaut prendre votre objet en photo avant de l’acheter et l’envoyer à un expert pour qu’il vous dise s’il est authentique. Il existe des maisons spécialisées pour cela et c’est, étonnamment, gratuit. Voici un formulaire en ligne où mettre votre photo : https://turquin.fr/expertise.html
Demandez un rapport sur l’état de conservation : si votre œuvre a été cassée et rafistolée, elle peut perdre une valeur considérable et c’est alors dommage de payer le prix fort.
Provenance : si votre objet a appartenu à quelqu’un de célèbre, de compétent, de reconnu dans son domaine, par exemple un historien de l’art spécialisé dans ce type d’objets, à un musée (ce qui est plus rare), c’est très rassurant sur sa qualité.
Ne vous faites pas d’illusion, toutefois : si vous trouvez une belle œuvre authentique, en parfait état de conservation, avec une excellente provenance, elle sera certainement chère.
A moins que vous ne soyez un expert vous-même, vous avez peu de chance que votre vendeur ne soit pas au courant, ou qu’un expert n’ait pas profité de l’aubaine avant vous.
Les gens ne s'en doutent pas mais, si vous entrez dans les maisons de vente aux enchères, il y a des personnes sympathiques qui sont payées pour s'occuper de vous et répondre à vos questions.
Renseignez-vous simplement sur leur site Internet pour connaître les dates où ils exposent les œuvres, avant les ventes.
Vous pouvez même entrer dans les magnifiques hôtels particuliers de Sotheby's, Christie's ou Artcurial à Paris. C'est gratuit, il vous pouvez sans aucun problème demander qu'un responsable de la vente vienne vous aider à choisir (c'est gratuit aussi !!).
Vous aurez alors un expert, parfois très bien renseigné, qui vous dira tout ce qu'il sait sur les œuvres en vente. Vous pouvez lui demander de vous accompagner dans toute votre démarche pour faire votre achat.
Cela paraît extraordinaire, car on imaginerait qu'il faut, pour cela, être quelqu'un de riche et d'important. Mais non, pas du tout, ils accueillent tous les visiteurs, sans aucun besoin de montrer patte blanche.
Vous vous demandez comment les tableaux “blanc sur fond blanc” d’art contemporain peuvent atteindre des millions en salle des ventes ?
Vous avez l’impression de ne “rien comprendre” à l’art contemporain ?
Rassurez-vous, c’est le cas de tout le monde.
Personne ne comprend rien à l’art contemporain. Parce qu’il n’y a rien à comprendre.
Surtout ne dépensez pas d’argent pour ça. Vous êtes sûr de vous faire arnaquer (j’expliquerai un autre fois comment font les gens qui vendent des tableaux monochromes à des dizaines de millions).
Vincent
Vous êtes abonné