Raphaël Pomey
Raphaël Pomey

13 décembre 2022 6 minutes de lecture

Le grand retour au réel

Pourquoi le monastère m'a redonné le goût du saucisson.

Bienvenue sur mon infolettre 100% gratuite “En Enfer il y a” ; j’y dégonfle les baudruches de notre civilisation décadente et vous oriente vers les auteurs que j’aime. Je promets de vous émouvoir, de vous agacer et de vous faire rire.

Je suis Raphaël Pomey, rédacteur en chef du journal «Le Peuple» et philosophe de formation. Je vous invite à découvrir mes articles de fond sur le journal «Le Peuple».

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    Mercredi 13 février 2023

    Chers amis, Chers camarades,

    En règle générale, un créateur de contenus peut être content lorsque l'un de ses textes est lu par la moitié de ses abonnés. Lorsque j'avais écrit cet article, seule une centaine d'entre-vous l'avaient dès lors consulté. Nous sommes aujourd'hui aujourd'hui plus de 1300 personnes dans notre petite communauté et j'avais donc envie d'attirer l'attention des nouveaux venus sur une expérience intérieure, qui continue de m'apaiser dans mon quotidien: l'expérience du monastère. Peut-être pourra-t-elle aussi vous inspirer.

    Cela m'importe parce que je ne veux pas donner l'impression de me contenter de dénoncer ce qui ne va pas dans nos Eglises, comme dans cet article douloureux mais nécessaires de l'un de mes contributeurs. Je tiens aussi à proposer des pistes de régénération.

    Bonne lecture, donc, et ne vous laissez jamais aller au désespoir. C'est une bêtise en général, et c'est une bêtise encore plus grande pour les chrétiens, qui croient que le Sauveur est vraiment ressuscité.

    Si cet article vous a intéressé, allez aussi lire mes doutes avant de me rendre au monastère du Barroux et les enseignements que j'ai retirés de mon immersion dans la prière.

    ***

    13 décembre 2022

    Je vous ai quittés la semaine dernière en vous faisant part de mon excitation, mais aussi de mes doutes, à propos du séjour que j’allais passer à l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, en Provence, le monastère d’où j’écris ces quelques lignes. Si vous avez lu ma dernière lettre, vous vous souvenez sûrement que je me demandais ce que pouvaient donner cinq jours passés dans un univers rythmé par les offices en latin et des repas pris en silence, moi qui viens d’une culture punk hardcore légèrement moins hiératique. Autre héritage qui me mettait un peu sur les pattes arrière, la tradition protestante de la moitié de ma famille, évidemment peu à l’honneur dans un cadre « catho-tradi » comme le Barroux.

    Alors que j’achève ma dernière journée en ces lieux, et que je sors d’une période de déconnexion afin d’écrire le reportage détaillé que vous pourrez découvrir dans notre édition de Noël du Peuple, je me suis dit que j’allais vous livrer mes impressions sans pour autant vous spoiler mon article. Et honnêtement, ce n’est pas simple de décider par où commencer tant ce séjour marquera durablement la deuxième moitié de mon existence, avec des conséquences pour cette infolettre dont je vous parlerai en fin de texte. Pour aller au plus simple, je vais essayer de répondre aux questions que se poseraient ceux qui, comme moi jusqu’ici, rêvaient de faire une retraite tout en s’estimant « pas assez catho » pour supporter la chose.

Les choses se passent à fond.

Je vais commencer par le plus évident : les moines. Une chose qui m’a immédiatement frappé chez eux, c’est leur mélange de simplicité et de grande rigueur. Voilà des bonshommes qui se lèvent tous les jours à trois heures du matin pour prier et travailler, souvent dans des activités physiques, mais qui tirent infiniment moins la gueule que les gens comme nous quand nous sortons du yoga pour aller participer à un groupe de travailsur la méditation pleine conscience au bureau. Rien qu’à ce niveau, quand je pense à l’humeur massacrante avec laquelle j’accueille trop souvent mes gamins quand ils viennent me dire bonjour à 7h15 alors que je suis en train de bosser, il y a une leçon de vie immense à tirer. Puisse ce séjour m’aider à revenir en chef de familleun peu plus patient, plus aimant, et capable de remettre un peu plus de choses à la Providence. J’ai bossé comme un abruti tout au long de l’année pour faire décoller mon journal et mes différents projets. Un homme plus sage que moi aurait davantage prié.

Bon, retour aux réalités pratiques. Que faut-il penser de la vie en cellule ? Eh bien vous serez sans doute déçus au niveau du romantisme, mais je n’en garderai assurément pas le souvenir d’un séjour en prison. Confiants envers leurs hôtes, les frères ont même ajouté une clé au trousseau dont nous disposons, qui nous permet de sortir toute la nuit si nous le désirons. A ceci près que nous ne le désirons pas. A quoi bon, en effet, replonger dans le monde dont nous venons de nous extraire, quand tant de beauté, de piété et de trésors liturgiques nous entourent ? Qu’irions-nous chercher – à part un ou deux pastis bienvenus – dans les villages alentour tandis que l’essentiel est au bout du cloître que domine ma chambre ? A quoi bon, d’ailleurs, aller boire des pastis alors que j’ai momentanément trouvé la planque, grâce à un habitué de l’abbaye, de la bouteille de chartreuse ?

Plus passionnant que les oeuvres complètes du rappeur Jul.

Rien ne vous y oblige, mais si vous êtes un solide, vous avez la possibilité d’assister à un premier office au milieu de la nuit, à trois heures et demie comme je l’ai dit. D’une durée d’une heure, il annonce bien la couleur de ce qui suivra toute la journée : l’adoration, la louange et des prières, des prières et re-des prières avant de manger. Pour quel résultat ? La paix de l’âme, tout simplement, à laquelle participent amplement la présence fidèle du verre de rouge à chaque repas, le pâté de porc du magasin monastique et les petits coups de chartreuse.

On peut trouver toutes ces petites joies de l’existence bien anecdotiques. Mais l’expérience monastique m’a appris que c’est parce que nous nous sommes détachés de la nature profonde des choses. Combien sommes-nous fous, nous qui nous croyons rationnels, quand nous refusons obstinément la nature charnelle de l’Homme, cette créature faite autant pour la contemplation que pour le saucisson. Il fallait, sans doute, partager quelques jours la vie des moines pour comprendre cette phrase de Péguy, dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu (je la cite de tête) qui affirme que l’infiniment grand a besoin de l’infiniment petit.

Beauté du monde réel.

Infiniment petit, je le suis peut-être, mais je m’apprête à revenir du Barroux avec une mission qui me dépasse largement. Transmettre, à mon tour, l’héritage intellectuel et spirituel qui a contribué au succès de cette communauté désormais florissante, alors qu’elle est partie de rien en 1970. Imaginez l’ironie : une communauté de cathos tonsurés dépassés par leur succès au beau milieu de l’effondrement de la foi chrétienne en Europe ! Que l’on croie ou non à la divine Providence, admettons qu’il y a là quelque chose qui relève du mystère.

Je ne sais plus qui est l’auteur qui écrit que notre mission est de sortir de cette existence en créatures plus hautes que nous y sommes entrés. C’est une phrase que je médite ces jours, sans vouloir en chercher l’auteur pour la conserver dans sa pureté. J’aspire désormais à la grandeur. C’est pourquoi, pour en revenir aux implications de cette retraite sur mon infolettre, je dois vous faire un aveu. Le gimmick « En enfer il y a » me fait toujours marrer, mais je n’en veux plus comme titre de ma publication.

Ma mission sur cette terre n’est pas de vous faire sans cesse traverser le Styx. Elle est de vous ramener au réel. C’est ce réel qu’ont chanté Ramuz et Chesterton, et c’est ce réel – cette joie de l’incarnation – que je retrouverai sur ma table ce soir après avoir rendu grâce à Dieu.

Que Dieu nous garde,
Raphaël Pomey

P.S. Aujourd'hui c'est mon père qui a relu ce texte, merci à lui.
P.S. (bis) Suivez la communauté sur son site: https://www.barroux.org/fr/ Je ne saurais trop vous recommander une retraite.


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